Trois krachs boursiers en vingt ans, cela fait beaucoup

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À l’évidence, le violent recul boursier de ces dernières semaines ne trouve pas son origine dans une crise de la finance. Il n’en pose pas moins beaucoup de questions.

Entamée sur tous les marchés du monde le 20 février (elle avait commencé un mois plus tôt en Asie), la chute des marchés boursiers a été vertigineuse: elle a presque partout dépassé 30% avant de revenir aux environs de 22,5% en moyenne mondiale par rapport aux derniers cours de 2019.

Pendant de longues semaines, les financiers ont paru ignorer la menace de pandémie. Il faut dire qu’ils ont pris de mauvaises habitudes. Déjà en 2000 et en 2007-2008, les marchés ont été durement secoués, et à chaque fois, gouvernements et banques centrales ont pris les mesures nécessaires pour arrêter la chute et permettre un rebond.

Cette fois encore, ils ont cru jusqu’au bout que les choses allaient s’arranger, soit parce que le problème sanitaire allait être résolu par les décisions strictes adoptées en Chine, soit parce que des mesures économiques fortes allaient être prises.

La Bourse de New York s’est montrée particulièrement désireuse d’ignorer les mauvaises nouvelles et l’a payé cher: le 12 février l’indice Dow Jones des trente grandes valeurs américaines battait un nouveau record à 29.551 points, il s’est retrouvé à moins de 18.592 le lundi 23 mars; le S&P 500 et le Nasdaq Composite ont encore battu des records le 19 février, à respectivement 3.386 points et 9.817 points, avant de terminer le 23 mars à 2.237 et 6.860 points.

Magie envolée

Cette évolution est très décevante pour Donald Trump. Le vendredi 13 mars, une demi-heure avant la clôture du marché américain, il avait déclaré l’état d’urgence aux États-Unis, ce qui allait lui permettre de débloquer jusqu’à 50 milliards de dollars supplémentaires pour combattre la crise.

Instantanément, l’indice Dow Jones avait enregistré un fort rebond et, tout fier, le président avait fait circuler un document représentant l’évolution du cours au fil de la journée, avec sa spectaculaire ascension finale jusqu’à 23.553 points, le tout accompagné de sa non moins spectaculaire signature.

Le mercredi 18 , les échanges ont été interrompus pendant quinze minutes en cours de séance, quand le S&P 500 a glissé de 7%.

Le message était clair: «Vous voyez, je parle, j’agis et tout de suite, cela va mieux.» C’est d’ailleurs ce que Trump n’arrête pas de dire depuis qu’il est à la Maison-Blanche: la preuve que tout va bien grâce à moi, c’est que la Bourse va de record en record. Le problème, c’est qu’il a été démenti par la réalité. La hausse du 13 mars n’a été qu’un feu de paille. La semaine suivante, le Dow Jones a encore perdu 19%.

Ces journées ont été particulièrement mouvementées, ainsi que le constate Rebecca Chesworth, stratégiste ETF actions chez State Street Global Advisors: «Les actions sont devenues plus volatiles ces derniers jours. Le S&P 500 a par exemple perdu 9% le jeudi 12 mars, puis regagné 9% le vendredi 13, avant de reperdre 12% le lundi 16 mars. C’est la première fois depuis 1929 que le S&P enregistre trois mouvements consécutifs de 9% ou plus à la hausse ou à la baisse sur plusieurs jours consécutifs. Trois jours, c’est le record.»

Le mercredi 18 a également été une journée pénible: les échanges ont été interrompus pendant quinze minutes en cours de séance, quand le S&P 500 a glissé de 7%. C’était la quatrième fois en deux semaines que ce dispositif coupe-circuit institué après la chute du Dow Jones de 22,6% le 19 octobre 1987 était utilisé.

Action extraordinaire

Donald Trump n’a pas été le seul à tenter d’arrêter la descente aux enfers. Le dimanche 15 mars, la Réserve fédérale, dont il n’arrête pas de dire le plus grand mal, avait surpris tout le monde en annonçant qu’elle ramenait son principal taux directeur à 0% et qu’elle allait mettre en place un dispositif d’achat d’obligations d’au moins 700 milliards de dollars –500 milliards sur les titres du Trésor et 200 milliards sur les crédits hypothécaires.

Les jours suivants, toutes les grandes banques centrales ont pris des engagements forts, y compris la Banque centrale européenne qui, après des premières mesures jugées un peu faiblardes, a lancé un plan d’urgence de 750 milliards d’euros, Christine Lagarde assurant que des temps extraordinaires requièrent une action extraordinaire.

Dans un premier temps, seuls les titres des sociétés directement touchées par les conséquences de l’épidémie (tourisme, transport aérien, etc.) ont fortement souffert. La chute des cours du pétrole, accélérée par les dissensions entre la Russie et l’Arabie saoudite sur la conduite à tenir face au recul de la demande, a aggravé le mouvement.

Puis enfin, il y a eu ce qu’on appelle en langage boursier la capitulation, le moment où les détenteurs d’actions ne font plus de distinctions et vendent tout. Dans ce contexte, fallait-il fermer les marchés et attendre pour les rouvrir que les esprits se calment?

Fermeture déconseillée

La question ne s’est pas vraiment posée, car cette mesure est d’un maniement délicat: si l’environnement économique et financier est réellement très dégradé, la baisse des cours reprendra au moment où les marchés repartiront et la fermeture n’aura servi à rien; elle pourra même n’avoir servi qu’à accroître l’anxiété des épargnants et renforcer le sentiment de panique.

Qui voudrait encore acheter des actions et prendre le risque de rester coincé quand le marché s’effondre?

De fait, les fermetures sont très rares sur les grands marchés: il faut remonter au 11 septembre 2001 pour trouver une fermeture de Wall Street (située à proximité immédiate du World Trade Center) et à mai 1968 pour une fermeture de la Bourse de Paris. Et pourtant, depuis ces événements, les marchés ont connu quelques chutes très sévères.

La fermeture en période difficile serait la décision à ne pas prendre. Le grand atout de la Bourse par rapport à d’autres placements est sa fluidité: on peut entrer et sortir quand on le veut.

Cette liberté est essentielle sur un marché instable: qui voudrait encore acheter des actions et prendre le risque de rester coincé quand le marché s’effondre? La répétition des crises a déjà pour effet de décourager les investisseurs; il n’est pas nécessaire d’agiter une menace supplémentaire.

La seule chose que peuvent faire les autorités boursières en période de crise est ce qu’a annoncé le 17 mars l’Autorité des marchés financiers (AMF) française, pour une période de trente jours: interdire la création ou l’augmentation de positions courtes nettes. Cela signifie que sont temporairement limitées les ventes à découvert, autrement dit les ventes d’actions que l’on ne possède pas.

La technique est très rentable en période de chute accélérée des cours: on vend au cours du jour des actions que l’on n’a pas encore mais que l’on espère trouver beaucoup moins cher avant la fin du mois boursier. Cette spéculation à la baisse, quand elle prend des proportions importantes, entretient et renforce le mouvement baissier.

Reprise en U

Ceci étant, il faudrait s’interroger sur les causes profondes du risque de lassitude des investisseurs. La dégringolade actuelle des cours trouve son origine dans une crise sanitaire conduisant à une contraction forte du commerce international et de la production.

À l’heure actuelle, on ne peut pas encore chiffrer l’ampleur des dégâts. Tout dépendra de la façon dont l’épidémie va continuer à se propager et de la longueur des périodes de confinement qui devront être décidées dans les différents pays.

Tous les scénarios sont aujourd’hui envisagés: reprise en V (chute brutale de l’activité suivie d’une remontée tout aussi rapide), en W (avec une première reprise qui serait suivie d’une rechute) ou en U (avec une période de croissance faible plus ou moins longue qui précéderait la reprise).

À l’échelle mondiale, le scénario le plus probable est le scénario en U, la reprise dans un pays comme la Chine étant actuellement compensée par une décélération dans d’autres zones comme l’Europe ou l’Amérique, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’ensemble de l’économie mondiale soit en phase de reprise.

Pour la France, le gouvernement prévoit actuellement un recul du PIB de 1% en 2020, au lieu d’une croissance de 1,3%. Mais Bruno Le Maire a raison, cette estimation ne peut être que «provisoire».

De bulle en bulle

Si cette crise boursière a une origine extérieure au système financier, il n’en est pas de même des deux précédentes. Celle du début des années 2000 était due à l’éclatement d’une bulle spéculative sur les valeurs de ce que l’on appelait à l’époque la nouvelle économie, celle de 2007-2008 à celui d’une autre bulle spéculative, sur l’immobilier américain cette fois, avec l’octroi sans limites de crédits hypothécaires d’une qualité plus que douteuse.

À chaque fois, ces comportements nocifs ont été encouragés soit par le maintien trop longtemps de taux d’intérêt trop bas, soit par un environnement réglementaire trop laxiste. Et quand la crise éclate, le monde financier se retourne vers les gouvernements et les banques centrales pour obtenir du secours, en brandissant la menace d’une chute de l’activité économique et d’une hausse du chômage.

Le comportement du marché boursier sur la période récente est instructif. En 2018, il avait brutalement interrompu son ascension à la suite de craintes sur la conjoncture mondiale. En 2019, il est apparu que ces inquiétudes étaient justifiées, et l’on a vu la croissance mondiale ralentir de façon très nette.

Les banques centrales, plus ou moins rapidement, plus ou moins fortement, ont fait ce qui était attendu d’elles.

Donald Trump avait largement contribué à exacerber les inquiétudes en 2018 en déclenchant un conflit commercial avec la Chine; ce conflit s’est poursuivi tout au long de 2019, avant de déboucher in extremis sur une pause en décembre. Le Brexit avait lui aussi joué un rôle négatif en 2018; il est resté au cœur de l’actualité tout au long de 2019. Quelle conclusion les marchés ont-ils tiré de la permanence de ces problèmes? Ils ont monté!

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