Le Dollar vient historiquement du Thaler, cette pièce en argent ayant circulé en Europe pendant 400 ans !

Le dollar des États-Unis est la monnaie la plus célèbre et la plus utilisée au monde pour les transactions. Mais cela n’a pas toujours été le cas. En effet, le dollar prend naissance au XVIe siècle en Europe centrale et ne devient la monnaie nationale des États-Unis qu’en 1792. Il va devenir peu à peu le symbole même de l’efficacité économique des États-Unis.


Par Kilian Kinley. Icono : Droits réservés/Trésor du Patrimoine

Il y a tout juste cinquante ans, le 22 novembre 1963 à 12h30 précisément, John Fitzgerald Kennedy, 35e président des États-Unis, est assassiné dans la voiture présidentielle lors d’un défilé officiel dans la ville de Dallas. Dans les heures qui suivent, Eva Adams, directrice de la Monnaie des États-Unis, appelle Gilroy Roberts, graveur en chef, pour lui faire part de son envie de rendre hommage à JFK en le représentant sur une monnaie. Le 27 novembre, le projet est lancé et un mois tout juste après ce terrible drame, le Congrès américain autorise la fabrication d’un demi-dollar. Les premières frappes débutent le 30 janvier 1964. Il remplace à l’avers Benjamin Franklin, tout un symbole… Le succès de cette pièce est tel que sa production n’a jamais cessé.

La naissance d’une monnaie

En réagissant aussi vite, le président, chef de file de la guerre froide et adulé dans son pays, reste présent auprès des Américains, mais également aux yeux du monde. Tel est le privilège de figurer sur la monnaie la plus célèbre de la planète. Si aujourd’hui le dollar est la monnaie « étalon », acceptée partout, utilisée pour le commerce international – le pétrole est coté en dollars, tout comme bon nombre de matières premières –, cela n’a pas toujours été le cas. Lorsque la déclaration d’Indépendance est signée le 4 juillet 1776, il est décidé pour ce nouveau pays qui voit le jour de créer une nouvelle monnaie : le dollar. Très influencé par le siècle des Lumières, John Adams, Roger Sherman, Benjamin Franklin, Robert Livingston et Thomas Jefferson, chargés par le second Congrès continental de rédiger le texte, ont donc tout naturellement trouvé leur inspiration dans l’histoire monétaire européenne. En effet, l’étymologie du mot « dollar » prend naissance au XVIe siècle en Europe centrale, en Bohème plus précisément, dans le village de Sankt-Joachimsthal (actuelle Jachymov en République tchèque). Depuis le Moyen Âge on y extrait d’importantes quantités d’argent. À partir de 1518, on appelle les monnaies qui y sont produites les joachimthaler, mais rapidement on leur trouve un diminutif : ce sera le thaler

Des origines européennes

Avec son poids de pratiquement 26 grammes d’argent pur, cette monnaie s’impose rapidement dans toute l’Europe centrale. Face aux différents systèmes monétaires distincts basés sur l’or, tels que le florin de Florence ou bien le sequin de Venise, le thaler présente l’intérêt d’être frappé avec un métal moins précieux; les conversions sont donc limitées et les échanges commerciaux facilités. Chaque État cherche donc à en produire. Il est adopté comme unité de compte par le Saint Empire romain germanique de Charles Quint en 1566. Les pays scandinaves, les Pays-Bas, la Pologne plus tard adoptent le thaler, qui devint daalder ou dalder suivant les langues. En débarquant au XVIIe siècle sur les rives du Nouveau Continent, les premiers colons ont évidemment apporté avec eux des monnaies de toute l’Europe, mais aussi des colonies espagnoles d’Amérique du Sud, et pendant plus de cent cinquante ans, le commerce s’est effectué grâce à ce monnayage hétéroclite. Il est donc tout naturel pour leurs descendants de baptiser, par déformation de ces termes thaler, daalder, leur nouvelle monnaie « dollar ». Le terme venant d’Europe, l’origine du sigle est controversée, mais tire très probablement son origine du monnayage du Nouveau Monde. Si le « thaler » est copié jusque dans la dénomination, certains États se basent sur sa valeur pondérale pour adapter leur monnayage au nouvel étalon. C’est le cas de l’Espagne. La pièce de 8 réales va de ce fait connaître une destinée encore plus universelle que sa concurrente germanique. Grâce à ses nouvelles colonies américaines et aux mines, aussi bien d’or que d’argent qui s’y trouvent, elle va rapidement inonder le monde de ses monnaies et devenir ainsi à la fin du XVIIe siècle le monnayeur des anciens et nouveaux mondes. Les commerçants de Chine, des Indes, de l’Afrique, mais aussi d’Amérique du Nord en sont friands.

Une forte symbolique

Le revers de cette monnaie est très intéressant, il représente les colonnes d’Hercule ceintes de la couronne espagnole. Elles sont le symbole de la victoire de l’Espagne sur l’angoisse antique symbolisée par le détroit de Gibraltar passage entre la mare nostrum et l’inconnu, le « nec plus ultra » (rien au-delà). Elles encadrent deux planisphères, l’Ancien et le Nouveau Monde, eux-mêmes couronnés. L’Espagne, conquérante, contrôle et garantit sa monnaie et sa teneur en métal précieux à travers tout le monde connu. Chaque colonne est entourée d’une banderole portant l’inscription « PLUS » et « UNUM » littéralement « Au-delà ». La banderole portant le mot « UNUM » autour de la colonne de droite forme un S parfait traversé par deux lignes formant le fût de la colonne. Quoi de mieux que de s’inspirer d’un visuel connu de tous pour le message qu’il renvoie, celui d’une monnaie forte et acceptée partout. La pièce de 8 réales, appelée « dòlar » en Amérique du Sud, était abondamment utilisée en Amérique du Nord, plus appréciée pour son poids et son titre, que les premiers dollars d’argent et a eu cours légal aux États-Unis jusqu’en 1857. Mais il s’agit dans un premier temps non pas de « dollar », mais de « continental dollar » du nom des treize colonies britanniques qui ont fait sécession.


Le dollar, seule monnaie de compte

En 1776, les caisses sont vides et face aux besoins urgents de financer la guerre d’indépendance, le « continental dollar » prend la forme de papier-monnaie et de pièces en cuivre. C’est donc sur des billets que le mot « dollar » apparaît pour la première fois. Mais il est émis en trop grande quantité, et n’est garanti par aucun métal précieux. Si la guerre a été financée dans les premières années, en 1780, son cours s‘effondre ; plus de 240 millions de dollars ont été émis en à peine quatre ans pour tout juste 3 millions d’habitants. La décision de créer la Banque de l’Amérique du Nord est prise en 1782 pour trouver une solution à la crise. Quatre ans après l’indépendance, le 17 septembre 1787, elle est remplacée par la première Banque centrale des États-Unis lorsque la Constitution des États-Unis est adoptée. Elle est le symbole des compromis entre les fédéralistes comme Hamilton et les républicains comme Jefferson, ou plutôt entre les partisans d’un pouvoir central fort et du développement industriel et les partisans d’une autonomie la plus large possible et du développement agraire. Hamilton souhaite qu’elle soit la plus forte possible et qu’elle ait les moyens de remédier à la crise ; quant à Jefferson, il est contre sa création. Elle est inaugurée en 1791, mais n’a pas de monopole d’impression de dollars. Elle ferme au bout de vingt ans et est remplacée par une seconde Banque centrale en 1816 qui, elle aussi, ne dure que vingt ans. C’est dans ce contexte qu’est votée en 1792 la première loi monétaire, établissant l’Hôtel des Monnaies ou U.S. Mint à Philadelphie et le système monétaire métallique américain. Le dollar, bien qu’officiellement baptisé ainsi par le Congrès le 6 juillet 1785, devient la seule monnaie de compte des États-Unis. La valeur de chaque pièce y est alors établie, ainsi que sa teneur en métal précieux, mais aussi son design. L’avers doit représenter la Liberté et l’année de frappe, le revers des pièces d’or et d’argent un aigle, ainsi que l’inscription : UNITED STATES OF AMERICA, celui des monnaies en cuivre la valeur inscrite en lettres. La première pièce de un dollar en argent est frappée en 1794, mais le mot n’apparaît en toutes lettres que cinquante-cinq ans plus tard, en 1849, sur la monnaie de 1 dollar en or. C’est cette même année qu’est décidée la fabrication des monnaies de 20 dollars !

La naissance du « billet vert »

Si la structure de la production métallique est solidement établie, celle du papier-monnaie est complètement déstructurée. Le gouvernement ne s’est pas appuyé sur les banques centrales successives pour la fabrication des billets de banque, mais sur les banques privées en leur délivrant des agréments. Le système s’est emballé à tel point qu’à la moitié du XIXe siècle, on comptait plus de 8 000 banques qui imprimaient chacune jusqu’à huit coupures différentes. Des sociétés privées comme des hôtels ou des compagnies de chemins de fer se sont mises à imprimer leurs billets. Impossible pour quiconque, consommateurs comme commerçants, de s’y retrouver. Les faussaires ne copiaient pas les billets existants, mais avaient juste besoin d’en inventer de nouveaux !

Lors de la guerre de Sécession, les unionistes d’Abraham Lincoln, pour financer l’effort de guerre, impriment des « demand notes » de 5, 10 et 20 dollars. Ces billets sont surnommés les « greenback » (dos vert), car la couleur verte utilisée pour imprimer leur verso est réputée infalsifiable. Le « billet vert » est né. C’est sur cette base que Lincoln décide de standardiser tout le système d’émission de billets américains avec la loi sur les billets de banque de 1863 et 1864. Elle éradique toutes les productions locales au profit d’une seule devise nationale gérée par le Département américain au Trésor et produite sur décision du gouvernement lui-même. Plus de 1 500 banques privées sont nationalisées à cette occasion. Le dollar est garanti par l’or contenu dans les banques. On ne peut plus imprimer plus de billets que d’or contenu dans les coffres. Le gouvernement s’engage à rembourser chaque billet émis en contre valeur or. Les États-Unis intègrent de fait l’étalon or international, premier système monétaire international déterminant le cours des monnaies entre elles et permettant le règlement des échanges internationaux.

« In God We Trust »

Mais cependant, malgré les efforts de la France, le Congrès n’accepte pas de rentrer dans l’Union latine et de modifier son système monétaire pour adopter le système français. Le dollar ainsi structuré peut donc enfin permettre aux États-Unis de se développer et d’étendre sereinement son influence. Des « gold certificates » sont émis et garantis en pièces d’or sonnantes et trébuchantes, ainsi que des « silver certificates » remboursables jusqu’en 1964. Le pays devient alors la première puissance mondiale et sa devise détrône la livre sterling, monnaie phare du XIXe siècle pour le commerce international. La phrase « In God We Trust » (En Dieu Nous Croyons) apparaît pour la première fois sur la monnaie de 2 cents 1864. Le 14 avril 1865, le jour de son assassinat, Lincoln signe la loi qui crée le « secret service » agence gouvernementale chargée de lutter contre la fausse monnaie, sorte de police spéciale du dollar dont la seconde mission est, depuis 1901 et l’assassinat du président William McKinley, la protection du président des États-Unis. Le mythe du dollar tout puissant prend alors racine. Mais avec la croissance économique, on imprime de plus en plus de billets ; et la garantie avec l’or contenu dans les coffres est intenable, si bien que la valeur de billets émis dépasse largement le stock d’or. Le système s’emballe, et le 24 octobre 1929, la crise éclate au grand jour. C’est à cette période cependant que la taille des billets et les personnages figurant sur les coupures sont établis : 1$ George Washington ; 2$ Thomas Jefferson ; 5$ Abraham Lincoln ; 10$ Hamilton ; 20$ Andrew Jackson ; 50$ Grant ; 100$ Benjamin Franklin.

La monnaie de référence

Avec la grande Dépression, Roosevelt promulgue en 1933 et 1934 des ordonnances interdisant la détention privée d’or, ainsi que des « gold certificates », et la punissant de 10 000 dollars ou dix ans de prison. Mais l’avènement du dollar comme « monnaie du monde » se fait grâce à la Seconde Guerre mondiale et les accords de Bretton Woods (signés le 22 juillet 1944 et visant à mettre en place une organisation monétaire mondiale afin de favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la guerre). Le dollar devient la valeur unique d’échange, la seule à être convertible en or ; son taux est fixé à 35 dollars l’once. Les autres devises sont indexées sur le dollar qui n’a pas besoin d’avoir de contrepartie or aux dollars émis. Les stocks des banques centrales doivent alors être constitués de devises et non plus d’or. C’est à cette occasion qu’est créé le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Le plan Marshall, visant à favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchées par la guerre, entérine la domination économique du dollar sur le monde, qui devient en quelque sorte un ONU monétaire. Il revêt presque un caractère divin lorsque « In God We Trust » (En Dieu Nous Croyons) devient la devise officielle des États-Unis en 1956 et est inscrite sur les monnaies comme sur les billets. Mais son hégémonie est contestée. Le privilège alloué aux États-Unis de pouvoir émettre autant de dollars qu’ils veulent est remis en question. Le général de Gaulle, de manière ouverte, et beaucoup d’autres pays menacent de changer les dollars qu’ils possèdent contre de l’or. C’est alors qu’en 1971, John Bowden Connally, rescapé de l’attentat de Dallas, alors gouverneur du Texas, puis ministre des Finances de Nixon, prononce à une délégation européenne, cette phrase restée célèbre : « Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème. » Nixon sûr de son atout principal, sa monnaie, décide de manière unilatérale de mettre fin aux accords de Bretton Woods et d’instaurer un change flottant entre les devises. C’est dorénavant le marché qui définit la valeur de chaque devise, il n’y a plus de système monétaire international organisé. Malgré la création de l’euro, la crise de 2008, la montée en puissance de la Chine et du yuan, ou encore la dette publique américaine, le dollar reste encore aujourd’hui LA référence.

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