Les profondes inégalités face au logement creusées par la crise

Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du Management des Services Immobiliers, pointe les conséquences, encore trop peu médiatisées, de la crise sur l’accès au logement.

Ce n’est jamais arrivé à ce point : le décalage entre les discours ambiants sur l’immobilier et la réalité perçue par les ménages culmine. Pourquoi ce hiatus ? Sans doute pour deux raisons majeures. D’abord, après une année de crise sanitaire, qui a plombé le moral de la nation, qui nous a privés collectivement de tant de libertés, nous sommes moins prêts que jamais à entendre des vérités sombres. Ceux qui nous gouvernement le savent, mais d’autres qu’eux, également en situation de responsabilité, à la tête des organisations professionnelles ou des entreprises en vue, dans l’immobilier comme dans tous les secteurs d’activité, le ressentent. C’est prendre le risque d’être rejeté par le corps social que d’asséner des informations inquiétantes et d’être marginalisé. L’enthousiasme est de mise. Une seconde raison est à l’œuvre : la crise aura clivé le pays plus que tout autre événement avant elle dans l’histoire de la France. Oh certes, il y aura eu ce clivage injuste et inexplicable entre ceux qui auront été atteint par le virus, jusqu’à en perdre la vie ou seulement en être gravement malades, et ceux qui seront restés indemnes. Comment parler de ce clivage ? Il n’est pas analysable, sauf à heurter l’écueil interdit comme Didier Lallement, préfet de police, l’avait fait : il avait distingué les imprudents qui méritaient d’être affectés par la covid et les respectueux des précautions sanitaires, qui seraient sauvés. On évitera de tomber si bas.

Non, on parle ici des conséquences économiques. Elles n’auront pas été les mêmes pour tous, c’est le moins qu’on puisse dire. Or, vous noterez que ceux qui prennent la parole sont plutôt dans le lot des chanceux et l’auteur de ces lignes n’ignore pas en faire partie. Quand on a cette veine, il faut seulement ne pas fermer les yeux sur les difficultés lourdes que la crise entraîne, dans l’immobilier aussi, secteur résilient entre tous incontestablement, mais porteur d’enjeux supérieurs et donc de périls plus graves.

Derrière les aspirations à un logement plus grand, avec un bureau pour télétravailler, dans une ville plus verte et plus aérée, des catégories entières de population ne pourront passer à l’acte. On ne change pas de vie si facilement sans aisance financière et ce ne sont pas plus de 10% des ménages qui pourront réaliser ce rêve. Les autres constatent d’abord un manque de visibilité quant aux modalités de travail qui les concerneront, et ne peuvent choisir un nouveau lieu de vie sans savoir s’ils pourront vraiment se sevrer du siège de la société qui les emploie. Peu d’entreprises y voient clair à l’exception des plus grandes et des plus organisées. Il faut également mesurer le coût d’un déménagement et les déracinements qu’il exige, notamment pour la scolarité des enfants ou l’abandon de son cercle affectif, si précieux en ces temps de redémarrage de la vie ordinaire. Enfin, la fragilisation de la situation de toute une fraction de la population la prive de l’accès au crédit immobilier, ce qu’on préfère taire. Derrière l’heureuse nouvelle de taux qui baissent encore, avec des records à moins de 1% sur une durée de 20 ans, peu d’emprunteurs ont droit à ce traitement : beaucoup vont emprunter plus cher, ce qui n’est pas un problème, mais beaucoup seront exclus du crédit. Des CDD non transformés en CDI, des temps partiels non compensés, des promotions ou des revalorisations salariales compromises. Plus couramment, des ménages qui s’avèreront incapables d’injecter dans l’opération un apport personnel suffisant, condition de l’octroi du crédit – et non de conditions meilleures. On se rappellera que le Haut conseil de stabilité financière a contraint les banques à ne pas dépasser 33% de taux d’endettement et que ce niveau n’est atteignable dans de nombreux cas que si la quotité empruntée est plus basse.

Les derniers chiffres de l’observatoire Cafpi sont claires à cet égard : alors que les prix ont pas ou peu baissé pour l’instant, les opérations ne s’équilibrent qu’en cédant sur deux fronts, celui de la durée, qui augmente, avec 54% des crédits entre 20 et 25 ans, et le montant majoré de l’apport initial, en hausse nette de près de 20%. On en arrive d’ailleurs aux considérations sur l’épargne pléthorique des Français, qui ont économisé en un an 200 milliards de plus que l’épargne habituelle. On omet de préciser que 80% de cette épargne a été constituée par 20% des familles… Les plus hauts revenus bien sûr. Pour ceux qui viennent en-dessous dans l’échelle des rémunérations établie par l’Insee, les fameux déciles, l’épargne est à la fois faible, ne permettant pas de grossir suffisamment l’apport personnel pour changer le cours des choses, et réservée à la sécurisation de l’avenir immédiat, pour préserver du déclassement en cas de coup dur, professionnel en particulier. En outre, la sélectivité plus forte des banques a un effet insoupçonné : elle fait monter prix, ou au mieux les maintient aux niveaux élevés que les dernières années leur avaient fait atteindre… encourageant un marché de riches ou en tout cas de favorisés.

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