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Atlantico.fr: Pour sauver le plan de relance, l’Union Européenne va surement devoir affronter une problématique qui lui est propre : comment faire respecter les règles démocratiques par l’ensemble des États et avoir leur vote ? Par quels biais l’Union-Européenne entend-elle réussir ce coup de force ?
Christophe Bouillaud : Il ne me semble pas que l’Union européenne soit en mesure de faire plier la Hongrie ou la Pologne, qui sont clairement les deux pays actuellement considérés comme problématiques du point de vue du respect des engagements pris au moment de leur adhésion en matière de droits de l’Homme, respect de l’Etat de droit et de pluralisme politique. Les pouvoirs politiques dans ces deux pays disposent d’une trop forte légitimité électorale pour être vraiment inquiété par leurs partenaires européens – dont la récente réélection du Président polonais. Du coup, probablement, on se mettra d’accord sur quelque formulation bien alambiquée dont le fonctionnement de l’UE n’est pas avare pour éviter d’aller au conflit ouvert avec ces deux pays. La logique la plus fondamentale de l’UE est d’appuyer les Etats membres dans leur politique économique, et je vois mal les Etats européens sacrifier le grand saut en avant vers plus d’intégration budgétaire au nom de considérations liées au respect de certaines normes démocratiques dans deux pays. Il faut bien être conscient aussi que ce qui se passe en Hongrie ou en Pologne ne gêne pour l’instant en aucune façon la vie économique et sociale du reste des pays de l’Union européenne.
Bruno Alomar : Elle ne le peut pas. La réalité est que l’UE est faible. Elle n’est qu’un soft power, déjà considérablement affaibli par le Brexit et l’état de divergence entre ses Etats membres, y compris la France et l’Allemagne.
J’ajoute que derrière cette question, se pose une question plus fondamentale. L’UE est-elle une organisation économique non souveraine dont l’essentiel de la mission est économique ? Ou est-elle plus que cela, c’est à dire un Etat fédéral en construction, dont le pouvoir lui permet d’aller jusqu’au cœur de ses Etats membres pour, le cas échéant, considérer que tel ou tel peuple vote mal ou ne contrôle pas à suffisance ses dirigeants ? De la réponse à cette question dépend la capacité et la légitimité de l’UE à agir dans le domaine politique interne.
Pour ma part, je considère que l’UE, à ce stade de son développement, devrait se concentrer sur les questions économiques.
Michel Ruimy : Tout d’abord, Il s’agit de se demander si l’Union européenne (UE), comme régime de gouvernance, crée, ou non, une démocratie supranationale et de savoir quels sont les effets et influences de son existence sur les démocraties nationales. On peut dire, de manière rapide, que si l’UE est, a priori, créatrice de démocratie au niveau européen, même si celle-ci reste imparfaite, elle est aussi globalement destructrice de la démocratie en raison des effets induits par sa simple présence sur le fonctionnement traditionnel des démocraties nationales. Autrement dit, l’intégration européenne engendre de nouvelles pratiques de gouvernance dans l’ensemble des pays membres, ce qui mine les pratiques traditionnelles de la démocratie.
Ce problème de « déficit démocratique » (destruction de démocratie nationale) n’est pas le plus important. En effet, les responsables politiques n’ont pas développé de nouvelles idées pour légitimer ces changements, ni de nouvelles pratiques pour rééquilibrer le fonctionnement des démocraties nationales. Au contraire, ils continuent à projeter des visions très traditionnelles du fonctionnement démocratique. Leur discours suggère que rien n’a changé, alors que tout a changé : il en ressort une crise démocratique profonde au niveau national, qui débouche, parfois, sur des dérives démocratiques comme en Hongrie ou en Pologne.
Ensuite, pour sauver l’important plan de relance européen (750 milliards d’euros), les 27 Etats-membres ont, au mois de juillet dernier, multiplié les circonvolutions pour arrondir les angles sur certains points, notamment celui de l’Etat de droit et la possibilité, en cas de violation, de couper les fonds de l’UE aux pays (conditionnalité Etat de droit). Or, certaines de ces ambiguïtés sont en train de revenir en boomerang à la Commission : la Hongrie et la Pologne ne veulent pas entendre de cette conditionnalité tout en sachant qu’ils ne peuvent obtenir gain de cause. Qu’à cela ne tienne ! Ces deux pays pourraient ne pas ratifier le texte du plan de relance autorisant la Commission à emprunter sur les marchés financiers une partie des fonds distribués aux Etats, qui doit être approuvé à l’unanimité. On serait, a priori, dans l’impasse. Déjà, à la demande de Budapest et de Varsovie, la présidence allemande de l’UE a dévoilé le mécanisme de conditionnalité sur l’Etat de droit qu’elle envisageait de présenter plus tard. Mais, certains pays du Nord (Pays-Bas, Suède…) le considèrent pas assez contraignant. Ainsi, si on modifie les « équilibres », l’accord signé le 21 juillet sera remis en cause.
Il faut raison garder. Les eurodéputés, quoi qu’ils en disent, ne vont pas prendre la responsabilité de faire capoter le plan de relance alors que leur pays a besoin de ces fonds. Certes me direz-vous, mais le Parlement européen, dont 60% des élus n’appartiennent pas aux partis au pouvoir dans leur pays, a montré, ces derniers mois, qu’il pouvait être imprévisible. En fait, tout sera affaire de compromis. Pendant ce temps, le temps tourne…
Y-a-t-il un risque de blocage par les États frugaux ou le groupe de Visegrad lors du vote du plan de relance ?
Christophe Bouillaud : A mon sens, aussi bien les Etats dits « frugaux » que ceux du groupe de Visegrad vont essayer d’obtenir le maximum d’avantages pour eux-mêmes, mais ils finiront par accepter. En effet, il faut comprendre que le Conseil européen fonctionne sur un « effet de cliquet ». Une fois qu’une décision est actée par la collectivité constituée par le Conseil européen, il est très difficile, voire impossible, de revenir vraiment dessus. Après, il n’est pas impossible de se perdre dans les détails et de jouer la montre, mais on ne revient pas en arrière. Pour donner un exemple, l’ « Union bancaire », qui suppose que la responsabilité de garantir la solvabilité des grandes banques en cas de crise financière, a été acté par un Conseil européen en 2012, et en 2020, elle n’est pas encore complètement effective, mais personne n’a réussi à acter qu’elle ne se ferait finalement pas. Pour ce qui est du plan de relance européen, il est acté dans ses grandes lignes.
Par contre, la vraie surprise peut venir du Parlement européen. Dans les accords entre Etats membres, à la fois sur le budget pluriannuel de l’Union, et sur le plan de relance, beaucoup de députés européens ne retrouvent pas les priorités qu’ils souhaitent, à la fois sur le financement de la recherche et de la transition énergétique. Il est donc possible que le Parlement européen, dont l’accord est indispensable sur le budget pluriannuel, renâcle et essaye d’imposer une vision de l’avenir européen encore plus ambitieuse que celle des Etats.
Bruno Alomar : Oui. Mais comme toujours, il faudra, in fine, négocier. La vraie question est de savoir où sont les lignes rouges infranchissables.
Au-delà, cette querelle montre bien l’étendue du schisme Est/Ouest sur les questions de société et politiques (immigration, famille, identité), est au moins aussi fort que le schisme Nord/Sud entre frugaux et dépensiers. A ce titre, l’on ne dira jamais assez quel mauvais coup à l’UE Madame Merkel a fait en créant l’appel d’air migratoire de 2015.
Michel Ruimy : Dans le cadre du plan de relance européen qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2021, la Pologne et la Hongrie ont fait aujourd’hui le choix de mettre leurs partenaires sous pression. Tant qu’ils n’en sauront pas plus sur le mécanisme qui doit conditionner le versement des aides au respect de l’Etat de droit, ils bloqueront toute avancée. Si ce mécanisme ne leur convient pas, ils n’hésiteront pas à mettre en péril le plan de relance.
Déjà, à l’issue du sommet du 21 juillet, le Conseil européen avait évoqué la nécessité de mettre en place un tel dispositif mais sa formulation était suffisamment alambiquée pour ne pas provoquer de rupture avec ces deux pays.
Or, pour le Parlement européen, qui doit se prononcer sur le budget communautaire de près de 1 100 milliards d’euros (sur la période 2021-2027) que viendra abonder le plan de relance, la question de l’Etat de droit est cruciale. Dans les négociations en cours avec les Etats membres, elle est d’ailleurs le point sur lequel un accord s’annonce le plus difficile. Viktor Orban le sait. Il avait prévenu, il y a déjà plusieurs semaines, qu’il serait intraitable sur le sujet. Pour certains, il bluffe car il a besoin des fonds de cohésion de l’Europe.
Dans ce contexte, d’autres pays, notamment les « frugaux » (Pays-Bas, Danemark, Suède, Autriche) et la Finlande, qui savent que la question de l’Etat de droit est un sujet important pour leur opinion et la ratification par leurs parlements, ont également refusé de s’engager plus avant dans le processus de ratification, histoire de montrer à la Pologne et à la Hongrie qu’ils ne se laisseront pas intimider et qu’ils sont décidés à ce qu’un mécanisme de conditionnalité au respect de l’Etat de droit digne de ce nom voie le jour.
On assiste donc à un « poker menteur ».
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