[ad_1]
Analyse du bulletin n°54 de l’IPE-ASR
La question de l’évolution de l’économie russe à la suite du choc de la guerre et des sanctions est aujourd’hui une question centrale pour l’évolution de la situation géostratégique autour de l’Ukraine.
L’Institut des Prévisions Économiques de l’Académie des Sciences de Russie (IPE-ASR) vient de publier ses données au 25 mai, qui correspondent à ce qu’ils appellent le « scénario inertiel » dans le bulletin n°54[1]. Elles offrent une vision intéressante, sur la base du modèle QUMMIR que nos collègues utilisent régulièrement pour leurs évaluations de la situation économique.
Le contexte
Il est clair que le développement de l’économie russe cette année a été divisé, et sera, en deux parties : avant et après le début la guerre en Ukraine. Les sanctions qui ont été imposées à la Russie par les pays de l’OTAN et leurs alliés, qui sont désormais qualifiés de « pays hostiles à la Russie » a imposé un changement radical dans les interactions de la Russie avec le monde extérieur. Cela pose la question de « l’isolement » de la Russie et de ses effets. On sait que de nombreux pays ont refusé de prendre des sanctions économiques contre la Russie, qu’il s’agisse de la Chine, de l’Inde, ou de pays plus petits comme la Malaisie (gros producteur de micro-processeurs) ou le Vietnam.
On sait aussi que la position de la Russie comme fournisseur de matières premières pour l’économie mondiale, des matières premières qui vont des hydrocarbures aux céréales en passant par les métaux rares et certains gaz utilisés pour la fabrication de composants électroniques, est centrale pour l’économie mondiale. Par ailleurs, le fait que l’Arabie Saoudite ne ce soit pas pliée aux demandes américaines d’un fort accroissement de la production[2] soulève la question de la capacité des États-Unis et des pays de l’OTAN à « isoler » un autre pays.
La solidarité entre producteurs de pétrole, l’OPEP et le groupe OPEP+ qui inclut la Russie semble désormais plus importante que la traditionnelle allégeance de l’Arabie Saoudite aux Etats-Unis. De fait, il est clair que le pétrole russe continue de se vendre sur la marché mondial[3]. Cela était prévisible, comme je l’avais écrit dans le numéro d’avril 2022 du magazine World Oil[4].
Dans ces conditions, l’impact économique des sanctions et plus généralement des perturbations sur le commerce mondial qu’elles entraîneront sera nécessairement important. On comprend aussi que cet impact ne portera pas que sur la Russie mais aura aussi des conséquences importantes sur les pays européens et globalement sur de très nombreux pays. C’est d’ailleurs un point sur lequel on peut critiquer le travail remarquable réalisé par nos collègues russes. En n’établissant pas des prévisions sur le reste du monde (ne serait-ce que par groupes de pays), ils se privent d’un instrument d’analyse de potentiels effets « de second tour » sur l’économie russe.
Car, c’est l’impact sur l’économie russe qui est naturellement l’objet des prévisions de l’IPE-ASR. Cet impact va nécessiter des changements dans la politique économique intérieure, changements sur lesquels noc collègues se sont déjà exprimés au début du mois de mai dans le magazine russe EKSPERT[5]. Ils reviennent sur cette situation au début du bulletin n°54 :
« Il faut admettre que nous vivons un choc externe qui n’a pas d’analogues dans le monde moderne et l’histoire russe. En conséquence, la réponse à ce qui se passe devrait provenir de la mise en œuvre d’un ensemble de mesures qui pourraient, dans la plus grande part, atténuer la sévérité des restrictions qui ont surgi pour l’économie russe. Il est important non seulement de stimuler la demande et d’atténuer la crise, mais de véritablement reconstruire l’économie – d’augmenter les investissements pour soutenir la substitution des importations et d’accroître la transformation des matières premières au sein de l’économie. [6]»
Les économies des grands pays, comme la Russie, ont effectivement une grande inertie. Comme le remarquent nos collègues de l’IPE-ASR Cela signifie que même sous l’influence de chocs exogènes ou endogènes graves, le ralentissement de l’activité économique ne se produit pas instantanément, à moins, bien sûr, qu’il s’agisse d’un arrêt « administratif » de l’économie, comme ce fut le cas lors de la pandémie lors des confinements. Il convient d’en tenir compte pour appréhender les prévisions faites par l’IPE-ASR.
Les prévisions à court et moyen terme
Les résultats économiques du premier trimestre 2022 se sont donc avérés assez favorables pour l’économie russe sur la base de la dynamique qui se développait depuis le 2e semestre 2021. La première estimation de la croissance du PIB, qui fut faite par Rosstat, indiquait une croissance de 3,5% par rapport à la même période l’an dernier. L’analyse des données disponibles montre qu’il s’agit probablement d’une prévision pessimiste.
Elle se situe, suivant les collègues de l’IPE-ASR, à la limite inférieure des estimations possibles de la dynamique économique à la fin de l’année dernière et au début de cette année. Cependant, même si on utilise cette estimation, cela implique que pour que l’économie russe décline de 10 % en 2022 comme l’annoncent les experts occidentaux (qui avancent même des chiffres extravagants comme 12%) il faudrait une baisse de 15 % en glissement annuel du PIB au cours du deuxième trimestre et aucune croissance au troisième et quatrième trimestre.
Les auteurs de l’estimation signalent alors qu’il convient de noter à ce sujet que selon la dynamique des indicateurs indirects de l’activité économique tels qu’ils étaient observables en avril et mai 2022, une baisse de 15% du PIB est également peu probable d’être enregistrée. Par ailleurs, il est important de se souvenir que ces estimations sont faites sous l’hypothèse qu’il n’y aurait pas de réaction du gouvernement russe face à la détérioration de la situation.
Tableau 1.1 : Chiffres en glissement annuel consolidés et prévisions de l’IPE-ASR (hypothèse inertielle)
2019 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | 2024 | 2025 | |
PIB | 2,2 | -2,7 | 4,7 | -7,4 | 0,8 | 1,8 | 1,7 |
Consommation des ménages | 3,8 | -7,4 | 9,5 | -10,3 | -1,8 | 3,3 | 2 |
Conso Administrations | 2,3 | 1,8 | 1,6 | 0,9 | 0,4 | 0,1 | 0,1 |
Investissements | 1 | -4,6 | 6,8 | -14,3 | 4,8 | 1,5 | 1,2 |
Exportations | 0,7 | -4,1 | 3,5 | -20 | 2,9 | 3,6 | 3,7 |
Importations | 3,1 | -11,9 | 16,9 | -33,2 | 5,8 | 6,1 | 5,2 |
Tableau 1.2 : Chiffres sur base 100 en 2018
2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | 2024 | 2025 | |
PIB | 100 | 102 | 99 | 104 | 96 | 97 | 99 | 101 |
Consommation des ménages | 100 | 104 | 96 | 105 | 94 | 93 | 96 | 98 |
Conso Administrations | 100 | 102 | 104 | 106 | 107 | 107 | 107 | 107 |
Investissements | 100 | 101 | 96 | 103 | 88 | 92 | 94 | 95 |
Exportations | 100 | 101 | 97 | 100 | 80 | 82 | 85 | 88 |
Importations | 100 | 103 | 91 | 106 | 71 | 75 | 80 | 84 |
Résultats consolidés
Estimations réalisées par Rosstat
Prévisions à court-terme de l’IPE-ASR, sans action du gouvernement
Prévisions à moyen-terme de l’IPE-ASR, sans action du gouvernement
On constate que, même si le gouvernement russe ne faisait rien face à la situation créée par les sanctions, la chute du PIB de la Russie en 2022 ne serait pas de -12% à -10% comme annoncé en occident mais de -7,4%. Par contre, la croissance estimée pour les années 2023-2025 serait faible. Cela fait écrire aux collègues de l’IPE-ASR dans le bulletin n°54 :
« Cependant, dans une large mesure, la limitation de la récession de l’économie russe cette année sera déterminée par le volume du paquet de mesures anticrises et la rapidité de sa mise en œuvre au bénéfice de la population et des entreprises.
La principale caractéristique de la situation actuelle est que les importations auront le plus grand impact sur l’ampleur du déclin de l’activité économique à court terme. À plus long terme, la réduction de la dépendance à l’égard des importations essentielles sera importante pour la stabilité de l’économie russe, mais d’ici un an ou deux, la garantie de l’approvisionnement en importations déterminera à la fois les paramètres de production, principalement dans l’ingénierie, les produits pharmaceutiques et la production chimique, ainsi que la consommation intérieure et la demande d’investissement »[7].
La question principale est donc l’ampleur et la rapidité de la réaction du gouvernement russe. On voit dans le tableau 1 que le choc des sanctions sera majoritairement absorbé par la consommation des ménages mais aussi par l’investissement. Cela a des conséquences importantes pour la croissance ultérieure, mais pourrait aussi avoir des conséquences non négligeables sur l’acceptabilité de la guerre et de la situation qui en découle par la population.
[ad_2]