Après le Libra, vers un euro digital ?

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Atlantico.fr : Après le Libra, on parle de plus en plus d’un euro digital. Qu’est-ce que cette nouvelle monnaie exactement ? D’où vient cet engouement ? L’épidémie a-t-elle accéléré le lancement du projet ?

Rémi Bourgeot : Le projet de monnaie digitale de Facebook a effectivement engendré un sursaut de nombreux Etats dans le monde, aux niveaux de développement et aux cultures monétaires très divers. Puis la pandémie a largement accéléré les projets des banques centrales en la matière. L’idée d’un complément « sanitaire » à l’argent liquide sous une forme digitale joue évidemment un rôle mais ça n’est qu’un aspect de ce qui pourrait, à terme et à certaines conditions, constituer une révolution monétaire et bancaire.

En premier lieu, à la fin de l’année passée, Facebook a voulu investir le thème des « stablecoins », c’est-à-dire des monnaies digitales au cours stable par rapport à certaines devises de référence. Les crypto-monnaies de type bitcoin reposant sur la blockchain souffrent de variations incontrôlables (et en fait inhérentes à leur conception). Derrière l’engouement mondial, leur utilisation concrète est généralement restée l’apanage de milieux souterrains. Avec l’annonce du libra, prétendant à une utilisation à l’échelle planétaire, de nombreux Etats ont pris conscience de la nécessité de proposer leur propre solution sous la forme de monnaies digitales de banque centrale, dont l’euro digital. Ces monnaies digitales officielles ne prendront pas leur devise respective comme simple référence de valeur. Elles doivent constituer en tant que telles de la monnaie de banque centrale, au même titre que l’argent liquide.

Aujourd’hui le seul moyen pour les individus et entreprises non-financières de détenir de la monnaie de banque centrale repose sur l’argent liquide. Les monnaies digitales de banque centrale font apparaître la faiblesse de la construction monétaire qui repose sur la monnaie émise par les banques commerciales par le biais des mécanismes de crédit en vigueur. Quand une banque vous prête de l’argent, elle crée cette somme ex-nihilo par un jeu d’écriture. Cet argent qu’elle vous prête constitue une créance de votre part sur cette banque, et simultanément vous vous trouvez endetté auprès de celle-ci du même montant, avec évidemment un intérêt supplémentaire à payer. Contrairement à la croyance générale, les banques ne prêtent pas en tant que tels les dépôts des uns pour financer les projets des autres.

Le lien actuellement très indirect entre la banque centrale et les acteurs économiques limite considérablement l’efficacité de la politique monétaire. La politique de quantitative easing qui déverse des montants considérables sur les marchés permet certes d’écraser l’ensemble des taux d’intérêt, en particulier sur les emprunts des Etats par effet direct, mais ne relance que très mollement l’économie réelle. Et surtout elle crée d’invraisemblables bulles sur les marchés financiers et immobiliers, dévastant l’équilibre productif et social des pays en question. La théorie selon laquelle le quantitative easing offrirait un outil quasi-scientifique de ciblage de l’inflation et de la croissance (ou de la combinaison des deux) a connu un étrange engouement, souvent intéressé, avant d’apparaître dans toute son absurdité ces dernières années. Face au cataclysme en cours, un recours ambitieux aux monnaies digitales de banque centrale pourrait donner naissance à des outils de relance plus directs, plus efficaces, et moins nocifs.

Cela va-t-il changer la situation du système bancaire ? Joue-t-il sa survie ?

Les banques centrales n’ont de cesse d’envoyer des signaux rassurants au secteur bancaire. La BCE, dans son premier rapport complet sur le sujet publié vendredi dernier, confirme l’idée de limiter les dépôts en euro digital en mettant en place un taux d’intérêt relativement dissuasif (comprendre négatif) au-delà d’un certain seuil, qui devrait s’élever à quelques milliers d’euros a priori.

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