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Une dette, en principe, se rembourse. Mais depuis la Révolution française, les exemples d’annulation de dette ne manquent pas. Et la crise sanitaire pourrait en fournir de nouveaux.
Si vous avez la chance d’être allé·e prendre un verre avec vos amis avant le couvre-feu, peut-être avez-vous participé au débat désormais classique: «Faut-il privilégier la santé ou l’économie?» Et dans ce débat de comptoir, peut-être avez-vous évoqué, l’air grave, les 117% de dette que la France devrait accumuler d’ici la fin de l’année. Un des convives a sans doute levé le menton et lâché, à travers la fumée de sa cigarette: «De toute façon, il faudra bien l’annuler, la dette», persuadé qu’il vient de mettre au chômage tous les prix Nobel d’économie.
C’est vrai ça, pourquoi est-ce qu’on n’annule pas la dette? Bien que le Covid-19 nous ait –paraît-il– fait entrer dans le monde d’après, soyons bien conscients que cette proposition est loin d’être nouvelle et que nos ancêtres ont déjà expérimenté des annulations de dette, à leurs risques et périls. Ne sachant pas où nous allons collectivement en raison de cette même crise, il paraît raisonnable de jeter un œil à notre passé. Peut-être l’histoire recèle-t-elle des leçons utiles pour faire face à notre crise actuelle.
Une technique royale
Sans prétendre être exhaustifs, ne résistons pas à un détour par l’époque médiévale. Parce que jusqu’à Louis XIV et à la régence, tous les coups étaient permis, ou presque, pour échapper à ses créanciers. Philippe IV, dit Le Bel, roi de France de 1285 à 1314, s’est ainsi bâti une réputation de «faux monnayeur», pour avoir réduit la quantité de métaux dans les pièces de monnaie afin d’en produire de nouvelles,et payer ses dettes avec des pièces dévaluées. La technique, associant inflation et dévaluation, présente l’avantage de dégonfler la dette de manière artificielle.
Mais surtout, Philippe Le Bel s’attaque à l’ordre du Temple, né au XIIIe siècle et rapidement devenu la banque de l’Occident. Les accusant d’être «hérétiques, idolâtres et sodomites», Philippe Le Bel fait arrêter les Templiers. Plusieurs sont envoyés au bûcher en guise d’intimidation. La dette existe-t-elle toujours si personne n’est là pour la réclamer?
Tous les mauvais payeurs n’ont, heureusement, pas rôti leurs créanciers, et ces procédés brutaux se sont raréfiés par la suite. Mais toutes les crises de la dette soulèvent une même interrogation: peut-on renier des engagements passés sans conséquences?
Le dernier défaut de paiement de la France
Revenons sur un épisode qui marquera la gestion des créances pendant plusieurs décennies. En mai 1789, Louis XVI ouvre des États généraux pour faire face à l’agitation populaire, mais aussi apaiser le marasme économique que traverse la France. Les élus décident à cette occasion de nationaliser les biens de l’Église et de vendre au public des assignats, c’est-à-dire des bons du Trésor, gagés sur ces biens, et que l’État s’engage à rembourser. Une manière rapide de financer le budget. Le 19 décembre 1789, la France émet des assignats pour le montant considérable de 400 millions de livres. Malheureusement, ces titres se déprécient rapidement, au point de perdre bientôt tout intérêt pour leurs détenteurs. En 1795, 18 milliards d’assignats circulent sur le territoire, à une valeur dérisoire. Tout juste arrivé au pouvoir, le Directoire s’engage à ne plus émettre d’assignats et fait voter une loi qui annule, d’un trait de plume, les deux tiers de la dette.
La banqueroute des deux tiers sera le dernier défaut sur la dette publique de la France à ce jour. «Elle était une mesure d’urgence parmi d’autres, face à une crise, et, à court terme, son bénéfice fut mitigé, écrivent Gérard Béaur et Laure Quennouëlle-Corre dans Les crises de la dette publique: XVIIIe-XXIe siècle(2019). Elle se révéla néanmoins payante à la longue, car elle permit la mobilisation relativement facile des finances pour les guerres suivantes.»
Il n’empêche, les gouvernants suivants s’en serviront comme un épouvantail et comme l’exemple ultime d’une mauvaise gestion des créances publiques, dont ils vont se méfier.
Cent ans de bisbilles avec les emprunts russes
Mais cent ans plus tard, les petits porteurs français connaîtront une nouvelle catastrophe, non pas liée cette fois-ci à la faillite de leur gouvernement, mais à celle d’un État étranger. Au lendemain de la révolution d’octobre 1917, les bolcheviks parvenus au pouvoir héritent de la dette contractée par le régime tsariste. Celui-ci a emprunté pendant plusieurs dizaines d’années des sommes importantes à la France ou encore à la Grande-Bretagne, pour financer ses chemins de fer et son industrie.
Après la révolution, la presse russe ne tarde pas à rappeler qu’une dette peut s’annuler, et que les sommes prêtées par la France en 1905 ont permis à Nicolas II d’écraser la révolution. En bref, rien ne dispose les Soviétiques à rembourser la dette due à la France. Dans le même livre, un bolchevik du nom de Larine justifie ainsi cette mesure: «Quant à la partie de nos emprunts qui, surtout en France, est placée entre les mains de petits propriétaires, les capitalistes français n’auront qu’à ouvrir leur bourse et prendre à leur compte le remboursement des petits porteurs. Ce sera pour les capitalistes français un châtiment parfaitement mérité pour leur guerre et, s’ils essaient de s’y soustraire, les petits propriétaires les chasseront de leurs places et se payeront eux-mêmes sur leur dos.»
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