[ad_1]
Il paraît bien loin le temps où les banques centrales revendiquaient un objectif et un seul — l’inflation —, devant tout autre, que ce soit la croissance, l’emploi où l’équilibre des marchés financiers. Cette intransigeance obsessionnelle était le socle de leur crédibilité. Sans état d’âme et sans considération sociale, les banques manipulaient le frein monétaire dès qu’elles anticipaient un risque de surchauffe, avant même qu’il ne se réalise.
La peur d’un Big one
Les choses ont commencé à se dérégler sous l’ère Greenspan. Quand le président de la FED (c’était en 1996) évoque l’exubérance irrationnelle des marchés. Ce terme, perdu au milieu d’un discours technique, eut à lui seul la capacité de faire trébucher les marchés. La banque centrale allait-elle incorporer un objectif de modération de l’inflation des actifs dans ses objectifs en plus de celui concernant l’inflation sur le marché des biens ? Cela n’a jamais été formulé officiellement. Mais force est de constater que les tentatives de resserrement monétaire initiées depuis la fin des années 90 ont été interrompues prématurément par les désordres qu’ils produisent sur les marchés financiers.
Ils induisent d’une part dans un premier temps des effets paradoxaux. L’excès de crédibilité des banques centrales sur l’inflation provoque une détente sur les taux longs qui favorise l’emballement des marchés d’action. Puis, chaque krach, notamment ceux de 2001 et de 2007, induit un rétropédalage spectaculaire des banques centrales et des injections de liquidité phénoménales. Les banques sont de plus en plus affairées à maintenir à flot les marchés d’actifs et semblent se détacher de plus en plus de l’objectif inflationniste. Et tous leurs efforts de normalisation, de leur bilan et des taux, sont systématiquement contrariés par la nervosité qu’ils suscitent sur les marchés financiers. Les banques semblent paralysées par la peur d’un Big one et d’une grande déflation. Une prostration qui grandit avec les niveaux vertigineux qu’atteint la bourse américaine. Plus dur est le risque de chute, plus complaisante sont les banques centrales.
Préserver la rentabilité des actifs en toutes circonstances
Un nouveau stade a été franchi avec la sortie de crise du Covid. L’intégrisme monétariste des banques a définitivement volé en éclat. Non seulement elles n’ont pas devancé par leur intervention le risque anticipé d’inflation. Mais pires que cela, elles laissent filer cette dernière sans réagir. La Fed vient de durcir le ton. Mais depuis plusieurs mois, elle évoque explicitement, chose peu commune, la situation du marché du travail, pour justifier son inaction. Tout se passe comme si dotées d’un seul instrument, elles ne parvenaient pas à piloter deux objectifs. Celui de la stabilité des prix sur le marché des biens et celui de la stabilité des prix d’actifs. Ces deux objectifs, compte tenu de la déconnexion des marchés financiers avec l’économie réelle, exposent les banques à des objectifs de plus en plus contradictoires. Nous rappelant la règle sage de Tinbergen selon laquelle, pour toute politique économique ayant des objectifs fixés, le nombre d’instruments doit être égal au nombre d’objectifs, sans quoi la politique risquera d’échouer.
Indubitablement, les banques centrales sont tiraillées par la multitude de leurs objectifs. La résurgence de l’inflation et la concentration des risques qu’elles portent à leur bilan leur dictent de durcir les conditions monétaires. Quand la fragilité des marchés d’actifs les pousse à la tempérance. Il n’existe aucun chemin pour une remontée ordonnée des taux, même lorsque l’inflation menace. Le moindre dixième de remontée des taux fait surgir la peur d’une grande dépression à la 1929. Les banques se retrouvent dès lors piégées. Et au vu de ce dilemme, on se dit qu’elles auraient besoin d’une mise à jour de leur logiciel d’intervention et de leurs instruments pour pouvoir traiter séparément ces deux objectifs.
À moins d’admettre que leur fonction de régulation s’est silencieusement déplacée d’un objectif à un autre. Et que l’objectif ultime des banques centrales et de préserver la rentabilité des actifs en toutes circonstances. En vérité, la surévaluation chronique des marchés d’actifs et la préservation d’une gouvernance actionnariale exigeant des rendements toujours plus hauts du capital pour coller aux valeurs de marché sur vitaminées sont aussi ce qui maintient une pression permanente sur la formation des coûts et des salaires. Si l’on veut croire en la permanence d’un objectif unique des banques centrales, il faut imaginer que les grands argentiers agissent délibérément en faveur de créanciers et leur délègue la fonction de compression de l’inflation. Et disant cela, nous ne sommes pas loin de la réalité. Le Président de la Fed l’avoue lui-même : les tensions inflationnistes du moment vont se résorber d’elles-mêmes. Il oublie d’ajouter : avec l’aide de la pression des marchés.
[ad_2]