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Comme nombre d’économistes français continuent de déconner en plaidant démagogiquement pour une annulation de la dette publique, on ne saurait trop conseiller la lecture du dernier ouvrage d’Emmanuel de Waresquiel, Les Sept Jours, 17-23 juin 1789 (Editions Taillandier). Ce livre prodigieux nous montre en effet qu’une institution vieille de mille ans – la monarchie française – a été balayée en une semaine par la banqueroute. Tout compte fait, c’est peut-être une nouvelle révolution que cherchent nos apprentis-sorciers, mais alors qu’ils le disent ! Et qu’ils méditent sur cette semaine cruciale.
Sur un terrain déjà labouré par des milliers de chercheurs, Waresquiel a eu l’art et la patience de dénicher des archives encore vierges (réserves de la bibliothèque municipale de Versailles, fonds privés en pagaille, écrits journaliers des députés envoyés aux Etats Généraux etc., etc.) qui lui ont permis de jeter une lumière nouvelle et crûe sur une histoire pourtant rabâchée par plusieurs générations d’historiens, souvent de première pointure. Et, ce qui ne gâte rien, l’auteur nous fait sentir, par une succession de courts chapitres incisifs, écrits à la pointe-sèche, le halètement brûlant de l’Histoire. Son livre fait penser irrésistiblement au chef d’œuvre d’Aragon, La Semaine sainte, qui établit lui aussi la chronique de sept journées tragiques, du 19 au 26 mars 1815, au cours desquelles Louis XVIII a fui devant Napoléon, de retour de l’Ile d’Elbe. Mais Aragon de son propre aveu avait écrit un roman, alors que Waresquiel nous fait cadeau d’un livre d’histoire au sens le plus rigoureux du terme.
L’enchaînement fatal de la révolution peut être résumé de la manière suivante.
Les Etats Généraux ont été convoqués parce que la monarchie avait déjà, depuis des décennies, la manie de dépenser plus qu’elle ne gagnait, et qu’elle cherchait une solution qui lui permette de rééquilibrer ses comptes. En 1770, déjà, le régime avait été menacé par une banqueroute partielle. La situation n’a fait ensuite que s’empirer, et la Couronne dut recourir aux « anticipations », c’est-à-dire des avances gagées sur les recettes fiscales à venir, prêtées au Trésor public par ceux-là même qui étaient chargés de percevoir les impôts. « La France, note un diplomate prussien, est comme un jeune homme qu’on ne peut libérer de ses dettes, car plus il a de l’argent, plus il a de crédits, plus il en mange ». On doit trouver aujourd’hui des notes de la même encre de l’ambassadeur d’Allemagne en France relatant à la chancellerie de Berlin l’incapacité congénitale de l’Etat français depuis Giscard à équilibrer ses comptes.
En 1789, l’intérêt payé sur l’ensemble de la dette publique équivaut au tiers du revenu annuel de l’Etat ! En mai de cette même année, la présentation, pourtant arrangée des comptes, qui est faite à l’ouverture des Etats Généraux, fait état d’une dette publique de plus de 4 milliards de livres alors que les recettes ne dépassent pas les 470 millions et que les dépenses leur sont encore supérieures malgré les coupes budgétaires consenties depuis deux ans. Bien sûr, les frais de la Cour sont jugés les principaux responsables de cette gabegie. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien. « C’est le service de la dette qui plombe les comptes de l’Etat », démontre notre auteur.
Marâtre Nature aggrave encore les effets de la crise financière. En effet, cette salope s’offre un caprice au plus mauvais moment. Aujourd’hui, c’est le COVID. En 1788-1789, ce fut une météo exécrable : orages, grêles, hiver particulièrement rigoureux, printemps tardif. Même le mois de juin est maussade. Versailles patauge dans la gadoue. Or la population française a augmenté de 30% depuis le début du siècle, passant de 19 à 25-26 millions d’habitants. D’un coup, le déséquilibre des marchés des grains s’accentue. Il en résulte une flambée des prix du pain, des émeutes de la faim récurrentes, qui tournent trop souvent à l’émeute fiscale. La misère se répand dans tout le royaume.Les impôts ne rentrent plus.
Comme l’impéritie des finances publiques empêche de payer convenablement gendarmes et soldats, les troubles deviennent de plus en plus difficiles à réprimer. Nombreux sont ceux qui crient à l’ « impunité » des gilets jaunes de l’époque.Le Roi lui-même est mal gardé par des régiments sous-payés. Au dernier moment, Louis XVI fait distribuer des suppléments d’appointements. Mais comme le dit Waresquiel, « quand on augmente les gages, c’est rarement par générosité, c’est qu’on n’est pas sûr des gagistes ».
Pour aggraver encore le climat social et politique, a fleuri toute une activité de publicistes, de faiseurs de libelle, de salons libéraux très bavards. Des brochures de toutes sortes inondent le Royaume depuis début 1789. Après l’ouverture des Etats Généraux, le public veut lire chaque jour le compte rendu des séances. Le ton et les précautions des anciennes gazettes sont très vite dépassés. « On publie à chaud, note Waresquiel, on ne vérifie pas grand-chose et on s’inquiète peu des fausses nouvelles ». Tous les jours, la presse parisienne est relayée immédiatement par les presses de province, amplifiant une révolution de l’information fort semblable à celle que nous connaissons depuis l’irruption d’Internet. Les fake news prolifèrent. Evidemment, les monarques en sont les premières victimes. Ainsi les députés du tiers-état, persuadés que la Reine Marie-Antoinette a fait aménager chez elle au Petit Trianon un cabinet entièrement tapissé de diamants, de saphirs et de rubis, demanderont obstinément à le voir … et ne le trouveront pas. Un autre jour la même Marie-Antoinette est soupçonnée de faire sauter la salle où se réunissent les députés. Des obscénités circulent sur son compte. Cible idéale des cartoonists de caniveaux, elle est devenue la Reine des Maléfices, Médée et Hécate tout à la fois, empoisonneuse et même incestueuse au point qu’il faudra la séparer de son fils quand elle sera enfermée dans les geôles de la Conciergerie. Cet inceste supposé sera même un argument de l’accusateur public Antoine Fouquier-Tinville pour l’envoyer à l’échafaud.
Au commencement était le Mot
Si les Français devaient écrire leur évangile, ils le débuteraient, non par la formule johannique : Au commencement était le Verbe (Jean, 1,1) mais par celle-ci : Au commencement était le Mot, ce qui est plus qu’une nuance.
« En France, les mots précèdent les choses », remarque notre auteur avec pertinence.
Le premier de ces mots, inventé par un obscur avocat, député de Bourges, un certain Jérôme Le Grand, dont tout le monde a oublié l’existence, c’est celui d’Assemblée nationale, le 17 juin 1789. Dire qu’on est le peuple, comme l’auraient voulu certains députés du Tiers-Etat, c’était laisser encore de la place à ceux qui n’en étaient pas, le clergé, l’aristocratie d’Etat, la petite noblesse de province. Du reste, les députés du Tiers étaient plutôt des gens de robe, des avocaillons de Paris, des commerçants, des nobles déclassés, des prêtres du bas-clergé en rupture d’obéissance à des évêques détestés – fort peu de paysans parmi eux alors que l’essentiel de la richesse française vient encore de la terre. En décrétant leur réunion « Assemblée Nationale », en proclamant dans la foulée « l’indivisibilité de la nation », ils s’arrogent d’un seul coup ce jour-là la souveraineté.
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