Avant de revenir sur les événements récents concernant le marché des métaux précieux, arrêtons-nous sur quelques chiffres macroéconomiques publiés cette semaine.

L’inflation a fait son grand retour en Allemagne, avec un rebond de 1.6% en Décembre. Les indicateurs commencent enfin à mesurer ce que l’on décrit depuis des mois dans ces bulletins, la hausse des couts des matières premières et des couts de transports commence à se diffuser dans l’indice des prix. Le coût de transport maritime ente la Chine et l’Europe a quadruplé ces 8 dernières semaines. Dans le même temps, les ventes de détail en Allemagne ont connu le mois dernier un effondrement jamais vu depuis 70 ans.

La consommation s’effondre car l’Allemagne est cette fois-ci beaucoup plus touchée qu’au printemps dernier par la pandémie. Les entreprises sont littéralement écartelées entre une demande qui s’effondre et des prix de leurs fournisseurs qui s’envolent. Pour couronner le tout, le moral des ménages repart à la baisse.

Dans ces conditions, la BCE a répété qu’il n’était pas question d’entrevoir de remonter les taux et d’interrompre son programme de rachats d’obligations.

Les taux réels allemands sont donc repartis à la baisse, réduisant d’autant plus les rendements obligataires.

Aux Etats-Unis, l’inflation se matérialise dans les prix des actifs. Illustration : l’immobilier repart à la hausse, avec une envolée de 9% des prix en un an.

Mais les chiffres économiques américains sont encore largement insuffisants pour parler de reprise. Le chômage ne s’améliore pas, les petites et moyennes entreprises n’ont toujours pas retrouvé le chemin de la croissance, leur nombre repart même à la baisse avec un secteur du tourisme de retour sur ses plus bas :

La Réserve fédérale et le Trésor ont averti qu’ils allaient agir fortement, le 2 ans américain repart violement à la baisse en touchant son plus bas depuis Aout à 0.10%.

On l’a vu, cette baisse des taux réels conjuguée à la montée de l’inflation est un moteur puissant pour la hausse des métaux précieux.

Mais ce qui a fait monter l’or et surtout l’argent cette semaine c’est l’affaire SilverShortSqueeze « commanditée » par la communauté r/WallStreetBets du réseau social Reddit. Cette opération a été longuement détaillée et commentée, essayons d’analyser maintenant avec un peu de recul ce que l’on peut en tirer comme enseignements.

L’appel lancé par cette communauté a provoqué un achat massif historique du tracker SLV qui reproduit le prix de l’argent :

En une journée, le cours de l’Argent s’est envolé de +11%, les trackers SLV et PSLV dépassant même cette performance. Ce qui est remarquable pour un marché « papier » qui pèse plus de $1 400 milliards. Même si elle est nombreuse, la communauté de Reddit n’est bien sûr pas responsable du volume historique de transactions sur le marché de l’Argent ce jour-là. On s’aperçoit dans cet épisode que le volume des fonds engagés sur des « écoutes » de « trending » est un facteur qui influence de plus en plus les marchés.

Face à cette envolée du prix de l’Argent, les Bullion banques qui détiennent d’énormes quantités de positions vendeuses ont déclenché des ventes flash tout à fait habituelles dans ce genre de configuration de phase haussière brusque. Les investisseurs qui se sont rués sur ces produits dérivés ont appris en quelques heures à peine le fonctionnement de ce marché.

La méthode choisie est toujours la même. Hier soir, dès la fermeture des marchés, les brokers ont commencé à relever les marges de maintenance sur tous les produits liés à l’Argent, obligeant par ce fait les spéculateurs en compte sur marge à vendre leur position à l’ouverture ce matin. Le marché des futures du Comex (CME – Chicago) a pour sa part augmenté ses marges de 18% (!) sur ses contrats de futures toujours à la fermeture des marchés, déclenchant là aussi des ventes de positions d’investisseurs désormais incapables financièrement d’augmenter leur exposition. C’est d’ailleurs avec ce type de méthodes que le marché parvient à maintenir un niveau d’open Interest suffisamment bas pour réduire la pression sur les demandes de livraison physique. Car l’objet de l’attaque des WallStreetBets concerne évidemment ce stock physique du Comex, qui permet au marché des futures de contrôler le prix du métal.

La banque Goldman Sachs a fait un papier ce matin par rapport à cette tentative de raid sur le Comex de la communauté (quand on y pense, c’est tout de même ahurissant de voir la plus grande banque d’investissement commenter un raid en cours d’une communauté sauvage sur les stocks de physique du Comex ! mais cette année 2021 est tellement spéciale…). Dans ce papier, la banque explique que les chances de réussite de cette opération sont très minces. Le stock physique est trop important pour pouvoir déstabiliser le fonctionnement du Comex.

Comme ce stock n’est pas audité, et que les indications du stock de physique sur le marché Londonien (LBMA) sont par ailleurs très basses, les WallStreetBets aidés de leurs grands-pères d’adoption qu’ils ont choisi parmi les Gold Bugs ont décidé de tester ce qu’ils considèrent comme un coup de bluff du Comex.

Et si les stocks d’Argent physique étaient plus bas que ceux déclarés ?

Qui dit que ce stock n’est pas réhypothéqué, loué, utilisé pour des supports d’autres produits dérivés ?

Pour une once de physique échangée, près de 200 onces « papier » s’échangent chaque jour…. Avec un tel effet de levier la question du stock réel devient brûlante.

C’est dans ces conditions que les WallStreetBets ont lancé un appel à une ruée sur l’Argent physique, appelant leur « armée » à vider les stocks des vendeurs d’Argent physique. En à peine un week-end, la plupart des distributeurs ont écoulé leur stock. L’un des plus gros distributeurs, aux Etats Unis, annonce une vente record de $27 millions, principalement à des particuliers. Son stock est épuisé, sans possibilité de restockage pour le mois qui vient.

En 24 heures, l’industrie de revente de métaux précieux est mise littéralement à genoux aux Etats Unis.

En provoquant un squeeze sur le physique, les r/WallStreetBets veulent parvenir à faire dérailler le système de fixation de prix de ce métal : quand il n’y aura plus de physique sur le Comex, le marché des futures fera défaut (force majeure) et livrera du cash à l’expiration des contrats et non plus de l’argent physique. Ce sera alors la loi de l’offre et de la demande qui primera pour la détermination du prix de l’Argent physique : son cours explosera alors à la hausse. Cette hausse exponentielle aura des répercussions monétaires majeures et remettra en cause la politique des banques centrales qui ne pourront plus masquer l’inflation réelle en « débasant » librement la valeur de la monnaie pour le seul profit des 1% les plus riches.

L’idée est révolutionnaire, elle a déjà été tentée en 1980 par deux investisseurs privés, les frères Hunt. Leur histoire célèbre nous enseigne que le scénario envisagé par cette communauté comporte pas mal d’obstacles : le Comex possède plusieurs outils pour éviter un tel « corner » du marché des futures. L’augmentation des marges est l’un de ces outils. On a vu les dégâts d’une hausse de 18% du relèvement de marge ce matin. Si ce n’est pas suffisant, il y aura d’autres hausses.

D’autre part, pour réduire le stock physique du Comex, les participants doivent absolument prendre livraison de leur contrat et le stocker autre part que dans les coffres du Comex (sans le laisser en « custodial » – réservé mais toujours disponible – dans le système).

Cette opération peut être interrompue par l’opérateur de marché à tout moment : un « cash settlement » c’est-à-dire un versement en liquide de la valeur du contrat est alors proposé.

Sans cette opération de retrait physique du Comex, le jeu de la chaise musicale entre les swaps dealers, les bullion banks, et le BIS peut continuer à l’infini. Les Bullion banks peuvent continuer à vendre des contrats papier virtuels correspondant à de l’Argent qu’elles ne possèdent pas pour forcer les longs à battre en retraite. C’est d’ailleurs ce qu’elles ont largement fait depuis vendredi :

Ce mécanisme est le garant d’un bon fonctionnement du marché. L’organisme de régulation des marchés futures (le CFTC) a rappelé hier qu’il veillerait à toute menace sur le fonctionnement de l’ensemble des produis dérivés du marché de l’Argent.

Les prochaines semaines verront en tout cas jusqu’où cet épisode du « Short Squeeze sur l’Argent physique » peut aller.

Reprenons à présent un peu de hauteur par rapport à ce début de semaine un peu fou et observons le graphe de l’Argent depuis… 1802 :

Jusqu’en 1970, la valeur de l’argent n’a quasiment pas bougé. On voit bien ensuite les effets de changement de politique monétaire sur le cours de l’Argent après la fin des accords de Bretton Woods décidée par Nixon en 1971. Sans revenir sur les explications économiques de cette fluctuation, observons simplement les variations du cours de l’argent ces 50 dernières années. Après une hausse violente jusqu’en 1980, le cours dessine ensuite une courbe en forme de tasse avec une anse entre 2012 et aujourd’hui. C’est la figure classique d’un « cup and handle ». Cette figure technique est très haussière. Cela va rassurer nos WallStreetBets : les frères Hunt ont « attaqué » l’Argent dans une zone de surachat en touchant le bord gauche brûlant de la tasse, les Silver bugs de 2011 ont touché l’autre bord de la tasse, lui aussi brûlant. A deux reprises, l’opération a échoué, ceux qui ont voulu prendre la tasse se sont brûlé les doigts.

La configuration technique est bien plus haussière en 2021. Nous avons même enclenché le « breakout » de l’anse de la tasse ! La tasse peut désormais se tenir par la hanse sans se brûler les doigts !

A court terme, l’or et l’argent affrontent néanmoins des vents contraires.

La pression haussière sur le dollar est généralement défavorable aux métaux précieux. On mesure ce rebond du dollar par le décrochage de l’Euro, qui vient d’atteindre sa première cible de la figure harmonique « Bat » débutée à l’Automne.

Regardons désormais le comportement des minières.

La volatilité a été comme prévu au rendez-vous.

La minière argentifère Majestic Silver a profité lundi de l’appel des WallStreetBets pour casser son flag de consolidation entamé cet été. L’action AG est la cible des « Redditeurs » car elle est massivement shortée par des hedge fonds. Ils espèrent faire de AG le nouveau GameStop.

En deux jours à peine, dès le breakout du trend de consolidation, le titre a terminé la dernière jambe haussière du Gartley et dans les 24 heures qui ont suivi, la première cible baissière à 38.2% de retracement Fibonacci a été atteinte. La deuxième cible baissière se trouve au niveau du test du breakout. Est-ce que les shorts auront assez de force pour aller jusque-là ? 20% du flottant ont été en tout cas échangé vendredi, c’est un record historique de volume pour le titre.

Le fait que les juniors baissent moins fortement ce Mardi est aussi extrêmement haussier. Le graphique des juniors Argent par rapport au métal est d’ailleurs en train de dessiner une figure très haussière tête épaule inversée qui projette ce rapport au même niveau qu’à l’été dernier.

Si la correction de l’Argent reste mesurée, les juniors feront très certainement des plus hauts.