Atlantico: Pouvez-vous nous expliquer l’effet du coronavirus sur le cours du pétrole ?
Stephan SILVESTRE: En chutant à moins de 34$ le baril, soit un plongeon de 26% dans la journée du 9 mars et plus de 50% depuis le 1er janvier, le Brent a retrouvé de façon inattendue le niveau du gouffre dans lequel il s’était abîmé à la fin de l’année 2015. Il y a deux causes à cet effondrement. La première est liée à l’échec de la réunion entre l’OPEP et les pays producteurs alliés (dite OPEP+), et singulièrement entre l’Arabie Saoudite et la Russie. L’objectif initial de Riyad était d’obtenir une nouvelle baisse de la production de 1,5 million de barils par jour (Mbpj) répartie entre l’OPEP et ses alliés (la Russie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et quelques autres) afin d’enrayer la chute du prix du pétrole, sorti fin janvier du canal entre 60 et 70$ dans lequel le cartel s’efforçait de le maintenir. Cet échec, assorti d’une guerre des prix ouvertement lancée entre l’Arabie Saoudite et la Russie, a provoqué instantanément une spéculation à la baisse. Cette situation n’est pas réellement une surprise lorsque l’on se souvient qu’en 2016 Poutine était rentré à reculons dans l’accord de l’OPEP+, le bras tordu par plusieurs mois de pression de la diplomatie saoudienne. La Russie ne respectait d’ailleurs que partiellement les quotas qui lui étaient imposés et qui entravaient sa liberté commerciale.
Cette nouvelle bataille commerciale est tombée au beau milieu de la crise sanitaire et économique du coronavirus, qui a non seulement entraîné une baisse de l’activité mondiale, mais aussi une hausse de la volatilité sur les marchés financiers. Mais il ne s’agit pas que de spéculation. Les marchés anticipent aussi une forte baisse de la demande en pétrole, liée à la chute de l’activité chinoise (et asiatique), mais aussi à celle des transports, tous moyens confondus, aussi bien pour le fret que pour les passagers. La conjonction de ces facteurs négatifs a provoqué la rupture des supports techniques des cours et donc l’emballement des positions vendeuses.
Le choc pétrolier va-t-il atténuer la crise économique qui vient ou va-t-il l’accentuer ? Va-t-il accentuer les tensions entre l’Arabie Saoudite et la Russie ?
En général, la baisse des cours du pétrole agit sur les consommateurs, particuliers comme entreprises, comme une baisse de la fiscalité, donc en provoquant une hausse de la consommation. Mais cela ne se concrétise que lorsque la baisse est continue sur plusieurs mois. Si le contrechoc est transitoire, son effet restera imperceptible. En revanche, l’effet financier sera plus néfaste : une forte baisse du prix du pétrole est toujours interprétée par les marchés comme un indicateur d’affaiblissement économique. Cela entraîne généralement un repli vers des actifs refuges, comme l’or. Pour le premier semestre 2020, il faut plutôt s’attendre à une accentuation de la crise.