Nous ne reviendrons jamais à l’économie d’avant. Que faire pour amortir le choc ?


C’est le lourd avertissement lancé par Jérôme Powell, le président de la Fed, la banque centrale américaine.

Atlantico.fr : Lors du forum Central Banking organisé par la BCE, Jérôme Powell, le patron de la banque centrale américaine a prévenu que les Etats Unis ne renoueraient jamais exactement avec l’économie d’avant la crise du coronavirus et que notamment les travailleurs peu qualifiés de l’industrie des services en seraient les premières victimes, sur quelles données s’appuie le constat américain et est-il extensible à l’Europe ?

Natacha Valla : Cette crise est particulière à bien des égards. Ce à quoi fait référence Mr Powell est d’une part le lien particulier entre le progrès technologique et la productivité, d’autre part la vulnérabilité particulière dont a fait preuve le secteur des services par rapport à l’industrie. De façon générale, les économistes considèrent que sur longue période, le progrès technologique est associé à une élévation de la productivité générale des facteurs, et que cette amélioration est assez partagée. Or, à court terme, l’observation est difficile : malgré l’utilisation subite et absolument colossale des technologies qui nous ont rapidement permis, par exemple, de travailler à distance, d’échanger des informations, de prendre des décisions, de faire avancer les affaires, des difficultés productives se sont fait jour. « The jury is still out », mais il se pourrait que la pandémie nous révèle à la fois le pouvoir extraordinaire de la technologie mais aussi ses limites dans certains secteurs.

Dans tous les cas, il semble désormais acquis que nous nous acheminions, au fur et à mesure que la reprise s’affermira, vers des modes de production et d’organisation qui s’appuient beaucoup plus et de façon définitive sur les nouvelles technologies.

Le deuxième constat concerne les différences sectorielles de vulnérabilité : c’est sans aucun doute le secteur des services qui a été particulièrement affecté par le choc pandémique. Cela est vrai en Europe aussi : jusqu’alors, c’étaient l’industrie et la construction qui pâtissaient le plus des ralentissements cycliques alors que les services étaient plus résilients. Le premier confinement planétaire a illustré l’inverse. Pendant la première moitié de l’année, la contribution du secteur des services à la contraction du PIB a été trois fois plus importante que celle du secteur manufacturier en zone euro.

La charge la plus lourde est aujourd’hui portée par les emplois les moins bien rémunérés dans le secteur des services. Cela est vrai aux Etats-Unis et en Europe. Aux Etats-Unis, ce sont les minorités et les femmes, sur-représentés dans ce segment d’emploi, qui paieront donc le plus lourd tribut. En Europe aussi, les destructions d’emploi ont affecté inégalement les différents groupes socio-économiques. Ainsi, sur la première moitié de l’année 2020, la population active s’y est réduite de 7% pour les basses qualifications, alors qu’elle augmentait de plus de 3% pour les qualifications les plus élevées.

Il faudra, la crise passée, retrouver le chemin de l’emploi, et cela sera difficile car le monde du travail post-pandémie aura profondément changé, du fait des mutations technologiques mentionnées plus tôt, que la pandémie a aiguillonnées à marche forcée.

Atlantico.fr : La pandémie a-t-elle entraîné le basculement vers cette situation ou n’a-t-elle fait qu’améliorer un mouvement de plus grande ampleur ?

Natacha Valla : Les deux. Beaucoup des évolutions technologiques que la crise a accélérées de façon foudroyante étaient en gestation. Mais nous assistons à deux phénomènes combinés : le premier est le choc lui-même, sanitaire dans son principe originel, suivi de la réponse mondiale des autorités des différents pays, qui ont introduit des mesures drastiques pour lui faire face. Le second est la réaction du tissu économique qui effectivement a catalysé avec une rapidité extraordinaire la transformation numérique de nos systèmes, le télétravail étant la partie émergée de l’iceberg.

La mise à l’arrêt délibérée de l’économie mondiale a produit une récession très inhabituelle : des secteurs normalement moins sensibles aux fluctuations cycliques de l’économie ont été les plus affectées. Cela doit nous faire réfléchir aux outils intellectuels dont les économistes disposent pour comprendre les chocs d’offre et de demande. Vous vous en souvenez peut-être, on s’écharpait dans les premières semaines de la pandémie pour savoir s’il s’agissait-là d’un choc d’offre ou d’un choc de demande :plus qu’une lubie rhétorique de spécialistes, il s’agissait là d’un point fondamental car l’un et l’autre appellent des réaction de politique économique très différentes ! Pour ma part, avec le recul, j’aime beaucoup l’idée avancée par Véronica Guerrieri et ses coauteurs, que les chocs qui ont fait suite à la pandémie sont des « chocs d’offre keynésiens ». Les confinements sont très certainement des chocs de cette nature du fait de l’incomplétude des marchés, car dans leur expression la plus radicale, comme au printemps, ils ont affecté brutalement l’ensemble de l’économie, sans distinction. Les licenciements récents ou à venir, ainsi que la disparition inéluctable de certaines entreprises sera de nature à amplifier les conséquences de ce choc selon une logique keynésienne d’affaissement de la demande.

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