Jean-Paul Betbeze : D’abord, il ne s’agit pas seulement de milliards d’euros ou de dollars : il s’agit de montrer un mouvement de soutien important (c’est le cas aux États-Unis) et surtout coordonné (ce n’est pas encore le cas en zone euro) pour contrer les effets d’inquiétude, sinon de panique, que fait naître la pandémie. Nous sommes donc dans la psychologie, pour lutter contre les anticipations négatives auto-entretenues. Les milliards aident bien sûr, mais seulement s’ils sont vécus dans un effort massif et concerté.
Ensuite, il faut savoir que cette crise affecte en premier lieu et surtout l’offre, depuis la Chine, interrompant partout les chaînes de production, puis la demande, avec des ménages réduisant leur consommation, notamment dans le tourisme, les voyages, les spectacles, vacances, restaurants, achats en grande surface… Donc c’est à la fois une baisse de l’offre et de la demande, conduisant à des pertes des entreprises, à des chômages partiels, à des licenciements, à une montée du chômage, et à des baisses de prix. La récession est aux portes, en Italie, Allemagne, France, et bientôt en zone euro.
Pour réagir, deux volets sont mis en œuvre:
• d’abord, avant tout et surtout le volet budgétaire, avec automatiquement moins de rentrées fiscales (TVA et impôts en baisse) et, par décision politique, des délais de paiement pour régler les impôts et taxes, des simplifications pour permettre le chômage partiel. Ce sera partout le cas.
• ensuite le volet monétaire avec des taux plus bas et des soutiens aux banques pour qu’elles continuent leurs crédits aux entreprises les plus fragiles.
Mais, encore une fois, pour contrer l’épidémie d’inquiétude, c’est une action massive, budgétaire et monétaire, et plus encore coordonnée, pour marquer les esprits, qui est obligatoire. Il faut amortir le choc, puis aider à remonter la pente.
Mathieu Mucherie : Tout d’abord, il faut avoir en tête les ordres de grandeurs. On ne parle plus de quelques dixièmes de points de PIB comme voulait nous le faire croire Bruno Le Maire il y a encore quelques jours. On parle de points de PIB en moins. On parle d’un choc beaucoup plus court que celui de 2008, mais qui sera beaucoup plus aiguë. On parle de la plus grande baffe que le capitalisme se soit jamais pris depuis la deuxième guerre mondiale. Et on en parle au moment même où les Américains n’ont pas encore fait grand chose : pas de quarantaine, pas de test … La situation a encore le temps de s’aggraver. Si un scénario à l’italienne devait arriver aux Etats-Unis, des journées où la bourse s’effondre comme hier, nous on aurons tous les jours, et pendant des semaines.
En revanche, cet ordre de grandeur est temporaire, qui n’aura qu’un impact très limité sur la croissance comme sur la trajectoire des dix prochaines années, à la différence de la crise de 2008.
Face à la violence de cette crise, il y a 3 outils à notre disposition: d’abord la politique sanitaire ( recherche de vaccin, distanciation sociale…), puis en deuxième front la Banque Centrale, ( qui attend le 12 mars pour réagir et au final ne fait pas grand chose) qui e, et enfin, en dernier volet, la politique budgétaire.
Le premier volet a été clairement raté. Les Chinois ont hésité trois semaines, les Italiens ont hésité trois semaines, les Français également et aujourd’hui les Américains sont en train d’hésiter. Pour ce qui est du volet monétaire, la réponse de la BCE a été claire. En réagissant très tardivement et en refusant de baisser les taux d’intérêts, elle a envoyé un message très clair au pays de l’UE: vous pouvez sombrer, nous sauverons les banques. Point. Il nous reste donc le volet budgétaire, imparfait et lent, à défaut d’avoir réussi dans les deux autres, plus essentiels. Mais à l’heure actuelle, notre capacité à faire des chèques est tout ce qu’il nous reste. Et si on doit en donner le montant, je dirais environ 60 milliards d’euros, à investir dans la santé, les entreprises en difficulté… Le râteau doit être assez large de manière à englober toute la macro économique. Mais il implique une abolition de la réforme de Macron sur l’assurance chômage par exemple, ainsi que des mesures ciblées pour le secteur du tourisme, en particulier dans l’hôtellerie et la restauration qui pourront irriguer plus vite et efficacement.
Michel Ruimy : Il est très difficile d’estimer l’impact d’une crise sanitaire, comme la pandémie de Covid-19, alors que sa durée est inconnue. Il est donc impossible, à ce jour, d’avancer le montant des moyens financiers à mettre en œuvre pour sauvegarder l’économie. Par mesure de prudence, il conviendrait d’envisager un soutien financier de longue période. En outre, il faudrait savoir si les mesures de soutien seront d’ordre général ou ciblées.
En effet, les conséquences de cette crise sont essentiellement indirectes, avec les annulations de rencontres sportives, de meetings politiques…, la chute de l’activité dans les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration et des ruptures des chaînes d’approvisionnement dans l’industrie. La décision de Donald Trump de fermer les frontières aux voyageurs en provenance de l’Espace de Schengen pour 30 jours va amplifier ces impacts, même si les échanges de biens ne sont pas concernés. C’est pourquoi, il faudra aider, en priorité, les secteurs en urgence économique.
Pour rappel, le plan de relance français 2008-2010 a privilégié l’investissement à la consommation et a contribué à limiter les faillites d’entreprise. Il a été renforcé par d’autres mesures (prêts consentis à des constructeurs automobiles, aides aux ménages les plus touchés par la crise…). Si, initialement, le coût du plan de relance devait se monter à 26 milliards d’euros, au final, selon la Cour des comptes, le montant total a été de 34 milliards d’euros sur 2009 et 2010. Il a ainsi coûté plus aux finances publiques (1,4 % du produit intérieur brut) qu’il n’a rapporté en termes de croissance.
Jusqu’où peut aller ce plan pour soutenir l’économie nationale ?
Jean-Paul Betbeze : Attention à bien savoir qu’un plan français n’a pas de sens s’il est trop seul et si les marchés financiers se mettent à craindre une crise majeure en Italie, par exemple ! Il faut agir en France et en Europe, notamment en zone euro.
En France, on voit que le Ministère des Finances vient d’allonger (le 12 mars) les délais de paiement des impôts et des charges sociales, de décider la possibilité de remises d’impôts pour des raisons spécifiques, de garantir des lignes de trésorerie (par l’intermédiaire de la BPI) et de demander à la Banque de France d’aider aux rééchelonnements de crédits d’entreprises en difficulté.
En même temps, on peut s’attendre à ce que les banques françaises répercutent à leurs clients les décisions prises le 13 mars par la BCE, avec notamment des conditions de financement moins chères, de plus longue durée et sans limite en fonction de leurs demandes à la BCE ! Pas de crise de liquidité donc. En revanche, la BCE n’a pas rendu plus négative la rémunération des dépôts (elle reste à -0.5%) : elle ne souhaite pas faire plus de pression sur les ménages (allemands ?) pour qu’ils investissent ou les banques, pour qu’elles prêtent. Elle doit se dire qu’elles sont suffisamment sous pression et qu’il vaut mieux les alimenter en argent moins cher pour qu’elles le prêtent moins cher, elles aussi.