Un retrait de la Bundesbank provoquerait l’éclatement de la zone euro


Dans son édito pour «Russeurope Express», Jacques Sapir revient sur le conflit juridique qui oppose la Cour constitutionnelle allemande et la Banque centrale européenne. Selon l’économiste, en attaquant la politique de la BCE, c’est le fonctionnement même de l’euro que mettent en cause les juges allemands.

La question a beaucoup agité les milieux européens ces dernières semaines: la Cour constitutionnelle allemande pourrait-elle «censurer» la Banque centrale européenne?

De quoi s’agit-il? Le 5 mai dernier, la cour de Karlsruhe a rendu un arrêt important concernant la BCE. Elle a exigé de cette dernière qu’elle justifie de la «proportionnalité» de ses actions avec ses objectifs, tels qu’ils ont été définis dans son statut. Elle considère que cela n’a pas été le cas dans le programme de rachat de titres de dette publique lancé par la BCE en 2015, le fameux quantitative easing ou «assouplissement quantitatif».

Ce jugement ne concerne pas les mesures prises depuis la crise du coronavirus, mais on peut penser que c’est par extension qu’il pourrait s’y appliquer in fine. Or le Pandemic Emergency Purchasing Program (PEPP) décidé à la suite de la pandémie est vital pour assurer à certains pays comme l’Italie des conditions de bon refinancement de leur dette publique.

Principe de démocratie

Les magistrats constitutionnels d’outre-Rhin rappellent ici une évidence: rien ne peut autoriser des entités créées indirectement par la Constitution, ici à travers la décision du gouvernement allemand, lui-même issu de la constitution allemande, à violer cette même constitution ou à ignorer le principe fondamental de démocratie.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante de la cour de Karlsruhe depuis plusieurs années. Elle vient confirmer des arrêts précédents indiquant, contre les tendances fédéralistes à l’œuvre tant à Bruxelles qu’à Francfort, que la démocratie ne peut se vérifier que dans les cadres nationaux.

La supériorité des règles et lois nationales sur les directives européennes a été affirmée dans l’arrêt du 30 juin 2009 qui stipule qu’en raison des limites du processus démocratique en Europe, seuls les États-nations sont dépositaires de la légitimité démocratique.

Ce point a d’ailleurs été souligné par un juriste appartenant à la gauche allemande, Andreas Fisahn, qui remarque dans la revue Makroskop que la décision du 5 mai s’inscrit dans un conflit qui avait débuté dès 2012 avec le lancement du programme d’Outright Monetary Transactions (OMT). La BCE avait incontestablement pris une décision de politique économique et pas seulement de politique monétaire. Il ajoute: «L’arrêt Pringle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), daté du 27 novembre 2012, avait stipulé que la BCE n’était autorisée à mener qu’une politique monétaire et non sa propre politique économique.»

«C’est assez absurde, poursuit Andreas Fisahn, car la politique monétaire est toujours aussi une politique économique, et vice versa: la distinction est artificielle. Mais la jurisprudence crée des dogmes, de sorte que la volonté de séparer la politique monétaire et la politique économique est devenue une prémisse jamais remise en question».

Au-delà, la cour de Karlsruhe avait déjà pris des décisions importantes au sujet de la politique monétaire européenne. Les juges allemands avaient ainsi précisé, dans l’arrêt du 12 octobre 1993 à l’occasion de la ratification du traité de Maastricht, que le passage à la monnaie unique devait se faire dans le cadre d’une communauté de stabilité monétaire. Cette position, la Cour l’a réaffirmée dans l’arrêt qu’elle a rendu en septembre 2011 en réponse à une question portant sur la constitutionnalité de l’accord du 21 juillet sur le sauvetage de la Grèce. Karlsruhe a toujours été plus que réservée au sujet des euro-obligations.

«Il n’existe pas de peuple européen»

On voit donc que la récente décision de la Cour constitutionnelle allemande s’inscrit dans une continuité constante de sa jurisprudence. Dans le cas de l’arrêt du 5 mai dernier, la cour de Karlsruhe commence par rappeler que le droit de vote prévu par la Loi fondamentale allemande n’est pas un pur droit formel de choisir ses parlementaires, mais constitue un droit réel qui doit se traduire par la capacité d’influer concrètement sur les décisions qui s’appliqueront aux citoyens.

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