1 million de morts en Irlande à cause du virus de la pomme de terre au XIXième siècle

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Un million de morts. Un million et demi d’émigrés. Le bilan de la Grande Famine qui touche l’Irlande entre 1845 et 1852 est terrifiant. Comment une telle catastrophe a-t-elle pu avoir lieu ? Les Britanniques en sont-ils responsables ?

En mars 1847, le grand homme politique britannique William Gladstone partage avec son ami (et futur cardinal) Henry Manning ses réflexions sur ce qu’il nomme la « plus grande horreur des temps modernes ». Comment expliquer que, « dans une période d’abondance, dans le pays le plus prospère de notre époque, un peuple meure de faim » ? Gladstone évoque la famine qui sévissait alors en Irlande depuis l’automne 1845. Au début des années 1850, le bilan démographique et social de cette catastrophe est déjà très lourd et représente un million de morts et un million et demi d’émigrés pour un pays qui comptait 8,5 millions d’habitants en 1841.

C’est le mildiou, maladie due à un champignon parasitaire, qui est à l’origine de la « famine de la pomme de terre ». En effet, le Phytophthora infestans, vraisemblablement transporté par des navires venant d’Amérique du Nord, atteint l’Europe du Nord-Ouest à l’été 1845. Les conditions météorologiques de cet été-là (pluie et vent) contribuent à la propagation de la maladie. A l’automne, un tiers de la récolte habituelle irlandaise est perdu. Les petits paysans irlandais sont particulièrement affectés car, depuis le début du XIXe siècle, l’essentiel de leur régime alimentaire repose sur la consommation de cette denrée. On pouvait à l’époque limiter les dégâts sociaux d’une récolte désastreuse – l’Irlande avait déjà connu des épisodes de famine dans les années 1720, 1730 et 1810 par exemple -, mais les récoltes des années 1846, 1848 et 1849 sont également décimées. Le parasite n’est pas identifié comme tel immédiatement, empêchant qu’il soit endigué. La première commission scientifique nommée par le gouvernement de Robert Peel (1841-1846) à l’automne 1845 désigne le climat humide et froid de l’été précédent comme responsable du pourrissement de la récolte et préconise d’abord la ventilation des tubercules puis leur immersion dans l’eau marécageuse.

La famine tue de deux manières : on estime que deux tiers des victimes meurent littéralement de faim (oedème et dysenterie) et qu’un tiers succombent à toutes les épidémies (choléra, typhus, fièvres) qui se propagent aisément au sein d’une population très affaiblie et concentrée dans les asiles pour pauvres et les grandes villes. Les enfants sont particulièrement touchés par la tuberculose et la fièvre scarlatine. Néanmoins, les plus pauvres ne sont pas les seuls affectés : les médecins, les administrateurs locaux, les prêtres et les pasteurs – tous ceux qui portent secours aux plus affaiblis – succombent eux aussi à diverses épidémies.

L’horreur des corps décharnés et des cadavres qui s’amoncellent dans les rues et les chaumières est rendue avec beaucoup de justesse par l’artiste dessinateur James Mahony. Les dessins qu’il publie en 1847 dans The Illustrated London News font la triste réputation des alentours de Skibbereen (comté de Cork) auprès d’un lectorat britannique et international.

L’Irlande faisant partie intégrante du Royaume-Uni depuis l’Acte d’union (1800), l’organisation de l’aide publique incombe donc au gouvernement britannique de Londres. Or les années 1840 marquent en Grande-Bretagne le triomphe de l’idéologie libérale, celle du libre-échange et du laisser-faire en économie. Les dirigeants sont donc tout à fait hostiles à un trop grand interventionnisme étatique. Pour interférer le moins possible avec les lois du marché, Robert Peel décide d’acheter en secret 100 000 livres sterling de maïs américain à l’automne 1845. L’objectif est de fournir le marché irlandais en céréales au printemps 1846. Pour cela, les instances d’assistance publique locales doivent le vendre à prix coûtant. En outre, Peel réactive une politique de chantiers publics sur lesquels sont embauchés ceux qui demandent de l’aide. En revanche, le gouvernement rechigne à venir en aide aux centaines de milliers d’émigrés qui doivent quitter l’île par leurs propres moyens.

Responsable de ses malheurs

Sous le gouvernement du libéral John Russell (1846-1852), l’aide étatique est réduite au strict minimum. Seules les soupes populaires permettent, un temps, de contrer chez certains pauvres les effets les plus sévères de la dénutrition (Soup Kitchen Act, 1846-1847). Les chantiers publics sont progressivement abandonnés (1847) et ce sont les asiles d’indigents qui accueillent les plus démunis dans des conditions déplorables de surpopulation, de misère et d’insalubrité. Ainsi, en mars 1847, l’asile de Fermoy (comté de Cork), prévu pour accueillir 800 pauvres, en héberge 1 800. Les bien portants et les malades sont logés ensemble si bien que, en l’espace de trois mois, 25 % des résidents meurent.

Les contemporains s’interrogent sur la responsabilité de la société irlandaise dans l’ampleur prise par ces crises agraires. Les économistes et la majorité des hommes politiques britanniques adoptent une vision dite « providentialiste » de la famine. Selon eux, si la responsabilité de cette tragédie n’incombe pas entièrement aux Irlandais – la catastrophe naturelle est vue comme un geste divin -, l’ampleur du désastre est le résultat d’une société paysanne arriérée, qui n’a pas su moderniser son agriculture ni prendre le grand virage capitaliste de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Cette « arriération » de la paysannerie irlandaise est aussi une conséquence, aux yeux des dirigeants britanniques protestants, de son obstination à persister dans le catholicisme, religion de superstition et d’ignorance qui s’oppose au triomphe des Lumières et à celui du progrès humain et social.

Une des figures qui incarnent le mieux cette conception providentialiste est celle de Charles Trevelyan, le haut fonctionnaire en charge des opérations de secours gouvernementales de 1845 à 1847. Présenté tour à tour comme un simple exécutant des décisions du gouvernement ou au contraire comme un administrateur par trop zélé et sans pitié, il demeure un personnage controversé. Son action est guidée par sa vision de la question irlandaise – qu’il livre dans son ouvrage La Crise irlandaise en 1848. Trevelyan est un homme de son temps, partisan du libéralisme et du libre-échange, qui est choqué du retard économique irlandais : « Que peut-on attendre, écrit-il, d’une nation qui ne vit que de pommes de terre ? » Son obsession, aux résonances très contemporaines, est d’éviter de créer un pays d’« assistés » et de permettre aux Irlandais d’atteindre une autonomie économique. Pour lui, la famine constitue une occasion unique et providentielle de moderniser une Irlande stagnant dans l’archaïsme économique.

Charité privée et diaspora

Parmi ceux qui viennent au secours des plus démunis, les quakers1 jouent un rôle très important. A l’automne 1846, ayant pris la mesure de la détresse des paysans irlandais, certains d’entre eux forment un comité central de secours à Dublin et dans les principales villes irlandaises. Grâce au soutien financier de leurs coreligionnaires nord-américains, ils établissent des soup kitchens, des soupes populaires peu ou prou gratuites. La dimension internationale de l’aide apportée par les quakers est propre à l’événement que constitue la Grande Famine. En effet, cette générosité internationale est aussi liée au phénomène de la diaspora irlandaise installée aux quatre coins du globe depuis le début du XIXe siècle. A New York, des comités de soutien sont créés et, en avril 1847, le voilier Jamestown part de Boston pour Cork chargé de provisions. Des dons arrivent du Canada, des Antilles et d’Europe, où des bals de charité et des ventes aux enchères sont organisés en 1846 et 1847. En France, le journal catholique Le Correspondant lance une campagne de soutien aux plus démunis et la Société de Saint-Vincent-de-Paul envoie plus de 5 600 livres sterling aux associations caritatives irlandaises.

La dimension internationale de la Grande Famine se manifeste aussi par l’émigration de masse qu’elle provoque. En l’espace de six ans, 1,5 million d’Irlandais quittent leur île pour se rendre en Grande-Bretagne, en Amérique du Nord (États-Unis et Canada), en Australie et en Nouvelle Zélande. En l’absence de soutien étatique, le voyage est le plus souvent financé par des économies personnelles ou par des amis et des parents ayant déjà émigré (sous forme par exemple de billets prépayés pour traverser l’Atlantique). Il existe néanmoins quelques grands propriétaires terriens (comme le comte Fitzwilliam ou le vicomte Palmerston) qui aident matériellement leurs paysans à émigrer – mais le plus souvent c’est dans l’objectif de se débarrasser de locataires miséreux.

Certains vaisseaux partent directement d’Irlande. Toutefois, au fil du XIXe siècle, les ports de Grande-Bretagne, tels Liverpool ou Glasgow, deviennent les points clés de départ. Pour ceux qui traversent l’Atlantique, le prix d’un billet pour les colonies canadiennes est relativement faible – autour de 3 ou 4 livres -, ce qui représente un tiers du salaire annuel perçu par un manoeuvre. Le voyage transatlantique à bord des voiliers dure cinq à neuf semaines dans les années 1840 – un temps pendant lequel aucun salaire ne peut être gagné. A bord de ces navires, les émigrés sont confrontés à la maladie (dysenterie, choléra, typhus) et à la faim. Les tristement célèbres « bateaux cercueils » (coffin ships) sont restés l’image la plus couramment associée aux migrants de l’ère de la Grande Famine. Les voyages les plus mortels sont accomplis en 1847, « année noire » (the Black Year) de la famine. Parmi les 100 000 migrants irlandais qui partent au Québec au cours de cette année-là, un sixième meurent soit à bord du navire soit dans l’hôpital de Grosse-Ile où ils étaient retenus en quarantaine. Néanmoins dans l’ensemble, compte tenu des conditions de voyage et de l’état de santé de certains passagers, le taux de mortalité demeure relativement bas (autour de 2 %) et est comparable aux autres taux européens.

Les excuses de Tony Blair

L’ampleur de la catastrophe humaine a suscité dès le début – et jusqu’à aujourd’hui – nombre d’interrogations sur l’amplitude de la responsabilité des dirigeants britanniques. Combien d’Irlandais les gouvernants auraient-ils pu sauver ? En 1997, le Premier ministre Tony Blair a fait des excuses publiques au nom du gouvernement, dans un discours aux consonances gladstoniennes : « Que 1 million de personnes soient mortes dans une nation qui comptait alors parmi les plus riches et les plus puissantes est toujours source de douleur quand nous nous le remémorons aujourd’hui. Ceux qui gouvernaient alors ont manqué à leurs devoirs. » Dans cette déclaration, Tony Blair opérait un lien entre histoire et mémoire, ce qui est le coeur des enjeux historiques autour de la Grande Famine. Une approche uniquement mémorielle de l’événement a pu conduire certains historiens et journalistes à qualifier la famine de « génocide » perpétré intentionnellement par les Britanniques à l’encontre des Irlandais.

Un des premiers à avoir accusé les Britanniques de crime fut John Mitchel, journaliste et historien qui participa au soulèvement nationaliste de la Jeune-Irlande en 1848 et qui fut condamné au bagne australien. Sa déclaration sur la culpabilité des Britanniques dans son ouvrage paru en 1860 La Dernière Conquête de l’Irlande (sans doute) est demeurée célèbre : « Certes le Tout-Puissant nous a frappés du mildiou mais ce sont les Britanniques qui ont provoqué la famine. » Il accusait dans son livre les Britanniques d’avoir continué à exporter des céréales d’Irlande pendant que le peuple mourait de faim. Mitchel a initié une tradition historiographique dite « nationaliste » qui perdure aujourd’hui à la fois dans des ouvrages académiques et des histoires populaires de l’Irlande. Le journaliste Tim Pat Coogan, dans son ouvrage Le Complot de la famine (2012), a accusé ouvertement les Anglais d’avoir commis un « holocauste ».

A rebours de cette analyse, le courant historiographique dit « révisionniste » a émergé en Irlande à partir des années 1930. Les historiens qui se rattachent à ce courant n’ont eu de cesse d’insister sur les conditions économiques et sociales en Irlande qui pouvaient expliquer l’impact de la famine ainsi que sa dimension régionale (concentrée dans la partie ouest de l’île). Ils diminuent ainsi la responsabilité des gouvernants et des administrateurs britanniques. Depuis les commémorations de 1995, des historiens irlandais comme Peter Gray ou Cormac O Grada (parfois qualifiés de post-révisionnistes) ont mis en valeur une interprétation plus nuancée de la responsabilité britannique et ouvert des champs de recherche nouveaux comme l’histoire comparée des famines. Peter Gray conclut ainsi que l’attitude britannique peut être qualifiée de « négligence coupable »

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