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Atlantico.fr : La Covid-19 a mis à l’épreuve les banques européennes. A-t-elle révélé des fragilités dans leur système ?
Olivier Meier : La pandémie mondiale de Covid-19 a touché de plein fouet l’ensemble des économies nationales, notamment en Europe et aux Etats-Unis. Le FMI prévoit une récession mondiale de 3 % en 2020. En effet, l’une des plus impressionnantes crises boursières se déroule sous nos yeux, au même titre que la « Grande Dépression » des années 1930 (taux de croissance négatifs) ou la crise des subprimes de 2007-2008, avec une diminution de l’investissement productif, une montée du chômage (perte de plusieurs centaines de milliers d’emplois) et de nombreuses faillites au sein de secteurs déjà soumis à une forte concurrence internationale comme l’Energie, l’Automobile, l’Aéronautique mais également dans des secteurs emblématiques, comme le tourisme, la restauration ou la culture. La crise du coronavirus plonge le monde dans l’inconnu, obligeant les Etats européens à réagir à coup de milliards d’euros, pour espérer sauver de la faillite des fleurons industriels (Renault, Air France KLM…) et relancer les économies nationales. Cette crise aura par conséquent un impact majeur sur le secteur bancaire en Europe au niveau de leurs capital et bénéfices, notamment en ce qui concerne les pertes de crédit, même si les gouvernements s’efforcent actuellement d’en limiter les effets. Je pense en particulier au report de paiement des impôts et des loyers et à la mise en place des systèmes de garanties (prise en charge par l’Etat de l’ordre de 80 %). L’ampleur de la crise dans le secteur bancaire est donc bien réelle, à l’image de Société Générale et de BNP Paris Bas qui ont au départ fortement été affectées par la propagation du virus en Europe, avec d’importantes chutes en Bourse. Mais l’ampleur du phénomène et sa gravité dépendent avant toute chose des mesures gouvernementales et de la durée de cette crise, dont les contours et caractéristiques sont encore aujourd’hui difficiles à évaluer. Une récession grave pourrait en effet fortement impacter les revenus des commissions et des transactions, puis à plus long terme, les revenus d’intérêts nets. Sur un plan plus structurel, les banques européennes vont donc être fragilisées, en particulier les établissements financiers spécialisés sur le crédit ou encore soumis à la volatilité de certains secteurs (cours du pétrole). Il est également important de regarder le niveau de concentration de ces établissements et leur degré de spécialisation comme dans le domaine du développement des PME industrielles qui ont été fortement impactées par cette crise.
Michel Ruimy : Le propre des crises bancaires est qu’elles surviennent toujours là et quand on ne les attendait pas. La crise du Covid-19 ne fait pas exception. Pour autant, à l’inverse de la crise des « subprimes » ou de celle des dettes souveraines de la zone euro, les établissements bancaires semblent, pour l’instant, mieux préparé du fait du renforcement de leur solidité en capital et en liquidité, réalisé de façon continue depuis la crise financière de 2008.
En termes d’activité, le premier constat montre que, dans le dispositif de soutien à l’économie mis en place par le gouvernement et les autorités européennes, les banques sont intervenues rapidement et massivement pour apporter des liquidités aux entreprises qui ont vu leur activité brutalement interrompue par le confinement et la décision de leur fermeture administrative.
Elles sont toutefois attendues dans l’effort de relance de l’économie post-confinement. Dès lors, seront-elles alors assez solides, en termes de risques, pour maintenir leur activité dans un environnement économique qui pourrait se révéler durablement et profondément perturbé en dépit des plans de relance, et avec le risque d’un nombre élevé de faillites d’entreprises ? Il faut, en effet, s’attendre à une élévation des taux de défaut sur la masse de prêts consentis même si les banques bénéficient de la garantie de l’État.
Dans le futur, les autorités de contrôle devront s’attaquer à certains problèmes « structurels » du secteur bancaire. Elles devraient, par exemple, tenir compte des incidences potentielles du faible niveau des taux d’intérêt lorsqu’elles prendront des décisions relatives à l’évaluation du niveau des fonds propres et évalueront les risques lors des tests de résistance (stress tests). Elles devront envisager des scénarii comportant des taux durablement faibles et évaluer la solidité des modèles commerciaux sous cet angle. Elles devraient également se montrer, encore plus, vigilantes en prévenant toute accumulation de risques excessifs qui pourraient nuire à la résilience du secteur bancaire.
La crise sanitaire va-t-elle selon vous générer une nouvelle crise financière ?
Olivier Meier : La particularité de la crise actuelle est dans sa nature, qui contient à la fois une dimension sanitaire, sociétale et psychologique liés à ses effets durables sur la santé des personnes (morts et malades, potentialité de séquelles dans certains cas) mais aussi un aspect fondamentalement économique et financier. En effet, pour bien mesurer l’étrangeté de cette crise, il est important de comparer précisément la crise actuelle avec celle que l’on a pu connaître en 2007-2008. La crise des subprimes fut indéniablement un choc pour le système financier et ses différents relais. Elle était avant tout une crise bancaire et financière, entraînant des faillites parmi les organismes de crédit et fonds d’investissement. Elle concernait notamment les pratiques de financement dans le secteur des prêts hypothécaires à risque. A l’inverse, la crise actuelle est globale et s’est traduite pendant plusieurs mois par un arrêt global de l’ensemble de l’économie et la fermeture de nombreuses activités (certaines n’ont pas encore ouvert dans le domaine par exemple des loisirs ou du monde de la nuit) pour des raisons essentiellement réglementaires. En effet, contrairement à d’autres crises, les difficultés actuelles des entreprises ne sont pas le fait d’erreurs stratégiques ou managériales, mais liées à des facteurs exogènes de type réglementaire (attestations de circulation sur le territoire, fermeture des frontières, confinement total ou partiel, mesures de distanciation sociale…). Il s’agit donc d’une crise globale de nature exogène qui frappe à la fois la consommation, la production, la distribution mais également les finances publiques des Etats (aides aux entreprises, chômage partiel, prêts garantis par l’Etat, mesures en faveur de l’investissement des entreprises). C’est donc une crise singulière car soudaine, brutale et mondiale, qui nous touche directement ou personnellement (éloignement de l’école de millions d’enfants, nouveaux modes d’apprentissage, développement du télétravail…) dont les effets économiques (récession), sanitaires (traumatismes et séquelles), sociétaux (dans notre rapport aux autres) et sociaux (chômages et faillites) risquent de se faire sentir pendant des années et peuvent même conduire à revoir certaines de nos pratiques notamment dans le champ de la santé et de la sécurité. Si cette crise devait perdurer, il est donc probable qu’elle pourrait entrainer une perte des prêts sur les crédits accordés et contraindre les banques les plus faibles (niveaux de départ en capital et sensibilité aux secteurs les plus touchés) à réduire leurs capacités d’actions. Une telle situation pourrait alors amener ces établissements à revoir leur modèle économique.
Michel Ruimy : L’épidémie sanitaire du SRAS en 2003 n’a pas conduit à un retrait massif de liquidités (bank run) au contraire de la crise économique de 2008. La crise actuelle est, quant à elle, mixte : son origine est d’ordre sanitaire mais des circonstances extérieures lui confèrent une dimension économique. Faut-il alors s’attendre à un « bank run » ? A ce jour, s’il y a un fait à retenir de cette comparaison est qu’une crise économique ayant une origine purement sanitaire, à l’image du SRAS, a moins de chances d’aboutir à un retrait massif de liquidités.
Pour autant, du fait de son caractère inédit, cette crise pourrait déboucher sur un nouveau scénario. Comme dans toute crise, il convient de tenir compte de l’élément psychologique qu’est la peur, facteur d’autant plus déterminant que le virus est nouveau. Les différents messages des autorités et des divers acteurs économiques, qui se veulent rassurants, ne peuvent pas effacer les précédentes crises de l’esprit des personnes. Nul ne peut prétendre contrôler la psychose qui règne chez les investisseurs, les clients des banques… quand elle est là.
Un scénario de « bank run » avec comme point de départ la Covid-19 n’a pas, en lui-même, un caractère économique susceptible de provoquer la faillite des banques. Mais, la conjonction avec des éléments extérieurs, comme des mouvements de panique, pourrait avoir pour effet de pousser les déposants à retirer massivement des liquidités en un laps de temps court même si elles ont vu leurs obligations prudentielles relevées depuis 2008. Les Accords de Bâle ont institué différents ratios de liquidité à court et à long termes qui devraient leur permettre, en principe, de résister à une éventuelle crise de liquidités qui ne s’étendrait pas à plus d’1 an.
Une crise de liquidités constituerait un test de fiabilité de ces récentes mesures qui n’ont jamais connu de crise économique.
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