Lors de sa campagne, le Président de la République Emmanuel Macron avait pris l’engagement de transformer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en « impôt sur la rente immobilière », en exonérant « tout ce qui finance l’économie réelle », et de revenir sur la mise au barème des revenus du capital intervenue en 2013.
Aussi, la loi de finances initiale pour 2018 a procédé au remplacement de l’ISF par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et à la création d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital.
Dans ce contexte, Vincent Éblé et Albéric de Montgolfier, respectivement président et rapporteur général de la commission des finances du Sénat, ont entrepris un travail d’évaluation de la pertinence de cette réforme de la fiscalité du capital, près de deux ans après son entrée en vigueur.
Leur rapport (n° 42 tome I (2019-2020), fruit de travaux conduits pendant plus de six mois, et enrichis d’une évaluation inédite réalisée par l’Institut des politiques publiques (IPP) relative à l’impact de la fiscalité des dividendes, dresse ainsi un premier bilan des mesures prises au regard de leur « coût pour les finances publiques », de leurs « effets redistributifs » et de leur « impact sur l’activité économique ». Il se termine par les conclusions et les préconisations des rapporteurs, telles que ci-après.
Premier bilan de la réforme
Sur la mise en place de l’Impôt sur la Fortune Immobilière
Le coût budgétaire de la réforme est proche de celui escompté en 2018. Le coût global de la réforme était estimé à 3,15 milliards d’euros en raisonnant par différence avec la situation en 2017. En retenant la même méthode, le coût de la réforme pour les finances publiques atteint finalement 2,9 milliards d’euros à l’issue de l’exercice 2018 :
a) le rendement de l’IFI au titre de l’année 2018, qui était entouré de nombreuses incertitudes, est supérieur à celui escompté ;
b) le dynamisme de l’ISF 2017, plus fort qu’attendu, renchérit à l’inverse le coût de la réforme ;
c) le rendement des compensations introduites à l’initiative de l’Assemblée nationale est trois fois inférieur à celui espéré, confirmant qu’il s’agissait de mesures d’affichage décidées dans la précipitation ;
d) le cumul de ces trois sources d’écart aboutit à un coût global de la réforme inférieur d’environ 250 millions d’euros à la prévision initiale.
Tenir compte du rendement de l’ISF qui aurait été observé en 2018 en l’absence de réforme conduirait à majorer le coût de cette dernière. A plus long terme, le dynamisme de l’IFI dépendra principalement de l’évolution des prix de l’immobilier et des comportements d’optimisation des redevables.
Taxer uniquement la « richesse immobilière » a contribué au caractère anti-redistributif de la réforme.
Cette dernière conduit à exonérer totalement de très hauts patrimoines financiers, alors même que des redevables de l’ISF restent assujettis à l’IFI sans pour autant disposer de revenus très élevés. Ce choix conduit plus globalement à concentrer davantage le gain fiscal, même si la taxation de la détention indirecte d’immeubles a atténué cet effet. Au total, le gain fiscal lié à la réforme s’élève en moyenne à 8 338 euros par foyer et atteint 1,2 million d’euros pour les 100 premiers contribuables à l’ISF. Le mécanisme de plafonnement bénéficie de manière prépondérante aux plus hauts patrimoines mais emporte des effets plus limités que son prédécesseur
Il est trop tôt pour déterminer l’impact causal de la réforme et son efficacité économique à l’aide de méthodes d’évaluation robustes. Sur le plan de l’investissement et du financement en fonds propres des entreprises, les premiers indices sont contrastés :
a) des premiers sondages indiquent que le gain fiscal n’aurait été que très partiellement réinvesti dans les entreprises, ce qui fait écho à une critique largement partagée sur l’incohérence économique de l’assiette de l’IFI ;
b) la fraction du gain fiscal réinvestie ne bénéficie pas intégralement aux entreprises françaises ;
c) sur le segment du capital-risque, les réinvestissements semblent avoir compensé l’effet lié à la disparition de « l’ ISF-PME » sans toutefois se traduire par l’apport de fonds nouveaux aux entreprises.
Sur le plan de « l’exil fiscal », la réforme pourrait avoir contribué à freiner les départs, sans pour autant provoquer de retours.
Les « effets de bord » de la réforme, insuffisamment anticipés par le Gouvernement, ont déstabilisé certains secteurs
Le renforcement temporaire de la réduction d’impôt « Madelin », loin d’avoir contrebalancé la disparition de « l’ ISF-PME », en a au contraire accentué l’effet déstabilisateur pour les gestionnaires de fonds fiscaux, faute d’accord de la Commission européenne. Le ralentissement important des investissements solidaires causé par la disparition de « l’ISF-PME » a jusqu’à présent été compensé par les investisseurs institutionnels. Le secteur de la générosité publique a souffert de la disparition de l’ISF et du faible recours à la réduction d’impôt « IFI-dons », qui n’avait pas été anticipé. Le secteur de la « pierre-papier » semble pour l’instant relativement préservé.
Du point de vue des redevables de l’IFI, celui-ci constitue une forme d’imposition plus complexe encore que l’ISF !
Premier bilan de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (« PFU »)
Le coût de la mise en place du PFU s’est révélé nettement inférieur à celui qui était prévu, puisqu’il était estimé à 1,3 milliard d’euros en 2018 et à 1,9 milliard d’euros à compter de 2019, pour le seul volet « impôt sur le revenu ». Parallèlement, les prélèvements sociaux sur l’ensemble des revenus du capital ont été significativement augmentés. Le coût de la réforme a été surestimé en ne tenant pas compte de la forte réaction des dividendes à la fiscalité, qui a généré des recettes supplémentaires tant au titre de l’impôt sur le revenu que des prélèvements sociaux :
- a) l’évaluation ex-post de la réforme réalisée par l’IPP confirme le lien de causalité entre la mise en place du PFU et la reprise de la distribution des dividendes ;
- b) en isolant la part de ce rebond des dividendes directement imputable à la réforme, l’IPP conclut que son coût a été surestimé de 500 millions d’euros au minimum.
L’évaluation ex-post commandée par la commission des finances laisse à penser que la reprise de la distribution de dividendes observée en 2018 devrait se maintenir au cours des prochains exercices.
La réforme bénéficie essentiellement aux plus hauts revenus mais l’analyse de ses effets redistributifs doit tenir compte de la hausse des prélèvements sociaux intervenue en parallèle.