La crise financière française de 1789-1799

Nous avons déjà eu l’occasion, ici-même , de montrer à quel point les manipulations monétaires étaient dangereuses . À travers l’histoire, cela a souvent mené à de terribles catastrophes . D’où l’actualité particulière de cet ouvrage paru en… 1912.

Par Johan Rivalland

La France de 2013 ressemble étrangement, sur certains points, à celle de 1789. Le prince n’est plus le même, mais la coexistence d’une dette énorme, fruit des règnes de Louis XIV et de ses successeurs Louis XV et Louis XVI, et de déficits qui perdurent d’année en année, ainsi que la stagnation économique, y font penser.

Mais ce n’est pas tout…

Les assignats, un expédient en apparence bien pratique face au problème de la dette

Turgot, on s’en souvient, avait été renvoyé et l’approche libérale avec lui. Et, de ministre des Finances en ministre des Finances, des expédients étaient trouvés pour tenter de reporter le problème de la dette et acheter la paix sociale.

En 1789, donc, Necker, malgré ses qualités reconnues, en tant que l’un des plus grands banquiers d’Europe, se trouva confronté à des demandes pressantes, de toutes parts, de recourir à l’émission de monnaie papier. Parmi eux Marat, qui accusait Necker, dans son journal L’ami du peuple, d’être « un misérable cherchant uniquement à s’enrichir en puisant dans les deniers publics ».

Necker, connaissant bien les effets pervers de ce type d’émissions, tenta au mieux de résister, mais l’Assemblée Nationale, fin 1789 – début 1790, trouva un compromis en prônant l’émission de billets reposant sur la confiscation des biens de l’Église.

En 1720, John Law, sous le règne de Louis XV, avait été l’inventeur de la planche à billets et, indirectement, des banqueroutes qui s’ensuivent, avec toutes les conséquences qu’elles engendrent.

Même si, cette fois, il y avait des contreparties officielles, avec les gages sur les propriétés de l’Église, nul n’ignorait que les grandes émissions de monnaie précédentes s’étaient soldées par la ruine. Mais il en allait de « la volonté du peuple » et « cela attachera(it) l’intérêt des citoyens au bien public ». Les objections tombèrent donc. D’autant que les lois naturelles ne jouaient plus « au sein d’une nation qui est gouvernée par une constitution », plutôt que par « un régime despotique » (M. Matrineau).

Fi, donc, des multiples effets connus de ce que presque tout le monde considérait bel et bien comme « la plus effroyable catastrophe que la France ait jamais connue ».

Les assignats, générateurs qui plus est d’un intérêt de 3%, furent donc émis en avril 1790 pour la somme, colossale à l’époque, de 400 millions de livres (le franc ne devenant la monnaie officielle qu’en 1795).

Un processus cumulatif

Très rapidement, et c’est là que l’on peut trouver un inquiétant parallèle de plus avec aujourd’hui, les résultats se firent dans un premier temps sentir dans toute l’économie, soulageant à la fois les créanciers, le gouvernement, le commerce et le peuple, relançant par ailleurs le crédit.

Mais il ne fallut pas cinq mois pour que le gouvernement ait tout dépensé et que le pays tout entier réclame une nouvelle émission de papier (cela nous rappellera l’incapacité actuelle du gouvernement français notamment, à l’instar des précédents, à diminuer la dépense publique, alors même que l’on recourt à toutes sortes d’artifices extrêmement pénalisants pour le pays, sans que ces efforts soient réellement payants ; ou encore le tonneau des Danaïdes grec ; de même que la planche à billets américaine qui, un peu dans les mêmes conditions, ne tardera pas à engendrer des effets néfastes dont certains n’estiment pas encore les conséquences).

Toute l’énergie et la verve d’un Mirabeau, au rang des adversaires influents de la monnaie papier, ne suffira pas. Malgré sa réelle conscience des dangers de l’inflation, il finit par céder à la pression et s’incliner, conforté en particulier par le rapport de Montesquieu du 27 août 1790, soutenant une nouvelle émission, jusqu’à finalement militer ardemment, dans ses discours, pour celle-ci.

Necker dut démissionner et quitter la France, pour la plus grande joie de Marat, Hébert, Desmoulins et autres fanatiques de la guillotine.

Et, malgré l’opposition convaincue d’un Du Pont de Nemours, d’un Maury ou même cette fois de Talleyrand, la verve de Mirabeau fit la différence et une nouvelle émission de 800 millions de nouveaux assignats fut votée par 508 voix contre 423.

À l’encontre des engagements solennels tenus alors, les émissions reprirent de plus belle, la mauvaise monnaie chassant la bonne (loi de Gresham), différentes régions commençant à leur tour à émettre leurs propres assignats, tandis que les « billets de confiance » et leur lot de fraudes en tous genres, achevèrent de pervertir le système, alors même que les premiers assignats, échangés contre des terres, au lieu d’être retirés de la circulation comme prévu, furent recyclés sous la forme de petits billets.

Et d’importantes nouvelles émissions nationales se succédèrent, toujours avec les mêmes engagements solennels à ce que ce soit la dernière, chacun se trouvant comme grisé par cette monnaie papier qui engendrait une inflation ressemblant à de la prospérité.

Les conséquences inévitables

Mais le pouvoir d’achat de toute cette monnaie déclinait de plus en plus vite, sans que l’on en cerne les causes a priori, les explications les plus folles courant à ce sujet, suscitant la mort de coupables désignés.

Les manufactures, quant à elles, déclinèrent brutalement, cessant leur activité les unes après les autres et le commerce s’effondra à son tour. Exactement comme cela s’était toujours passé dans tous les pays (Autriche, Russie, Amérique…) qui avaient tenté de bâtir la prospérité sur de la monnaie non convertible.

Effondrement de l’épargne, développement des paris, jeux d’argent et spéculation s’ajoutent à ce sombre tableau, de même que la corruption, qui prit une ampleur inquiétante, touchant jusqu’à certains législateurs (même Mirabeau s’y fit prendre).

Le nombre de débiteurs devint de plus en plus important et, sous l’influence de certains manipulateurs usant de leur pouvoir auprès des représentants à l’Assemblée, ils en déduisirent que leur intérêt était de déprécier la monnaie. D’où les pressions pour conduire à de nouvelles émissions, selon un mouvement irrépressible. Ce qui entraîna, bien sûr, une chute accélérée de la valeur de la monnaie.

Il est à noter que des limitations des montants maximaux à émettre étaient à chaque fois votées pour la suite, et à chaque fois bafouées. Ce qui peut rappeler, là encore et dans un registre voisin, ce qui se passe aux États-Unis en 2013 avec le nouvel épisode de « shutdown » et des négociations pour élever encore et encore le plafond de la dette.

De même, toujours cette conviction que les vieilles lois de l’Économie ne seraient plus valables dans le contexte de la fin du XVIIIème siècle, que les conditions ne sont pas les mêmes. Exactement comme certains le diraient aujourd’hui au début du XXIème siècle.

Et toujours cette idée, très en vogue encore à l’heure actuelle, que c’est l’inflation qui nous sortira d’affaire… (ce que les ménages, eux, ressentent bientôt autrement…).

Andrew Dickson White cite une phrase énoncée par Daniel Webster, qui demeure très juste et d’actualité, selon laquelle :

De tous les artifices mis en place pour duper les classes laborieuses, aucun n’a été plus efficace que celui qui les trompe avec la monnaie papier.

Puis ce furent les confiscations des grandes propriétés de propriétaires terriens (qui fuirent le pays), servant de garantie aux nouvelles émissions (cela nous rappellera cette idée, très en vogue encore aujourd’hui, consistant à « prendre l’argent là où il se trouve »).

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