L’annulation des dettes publiques détenues par la BCE et les banques centrales nationales serait illégale

Une tribune qui réclame l’annulation des obligations publiques acquises par la BCE et les banques centrales nationales de la zone euro, a attiré beaucoup d’attention.
Les promoteurs de l’annulation des obligations publiques détenues par l’Eurosystème, ou la conversion en dette perpétuelle, prétendent que ce serait légal en raison de l’absence d’interdiction explicite de telles mesures sur les traités ou d’autres législations européennes. La législation ignorant totalement de telles mesures, il serait abusif de les considérer comme interdites et la BCE aurait donc le droit d’apprécier cette question comme elle l’entendrait. La BCE et les banques centrales nationales de l’Eurosystème auraient le droit, comme tout créancier, d’accorder des remises de dettes aux débiteurs. Cette interprétation est cependant totalement erronée. La conjonction des textes législatifs, et la jurisprudence de la CJUE, permettent d’établir très clairement que ces mesures seraient illégales.

L’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’union européenne établit que

« Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »

Cet article est complété par le règlement du Conseil (CE) n° 3603/93 qui établit que

« les achats effectués sur le marché secondaire ne doivent pas servir à contourner l’objectif poursuivi par cet article »
où l’article en question est l’article 123, anciennement article 104, du traité.
Ce règlement très important a souvent été utilisé dans les argumentaires de la CJUE, qui vérifie toujours qu’il est bien respecté. L’arrêt de la CJUE du 16 juin 2015 qui autorise les OMT indique ainsi que
« ainsi que le rappelle le septième considérant du règlement nº 3603/93 du Conseil, du 13 décembre 1993, précisant les définitions nécessaires à l’application des interdictions énoncées à l’article [123 TFUE] et à l’article [125, paragraphe 1, TFUE] (JO L 332, p. 1), les achats effectués sur le marché secondaire ne sauraient valablement être utilisés pour contourner l’objectif poursuivi par l’article 123 TFUE »
« lorsque la BCE procède à l’acquisition d’obligations souveraines sur les marchés secondaires, elle doit entourer son intervention de garanties suffisantes pour concilier celle-ci avec l’interdiction du financement monétaire découlant de l’article 123, paragraphe 1, TFUE »

La combinaison de l’achat d’obligations publiques sur le marché secondaire, et de leur annulation par la suite, serait donc très certainement considérée comme une stratégie de contournement de l’objectif poursuivi par l’article 123. Ce serait sûrement l’avis de la Cour de Karlsruhe, et certainement de la CJUE.

L’arrêt de la CJUE du 11 décembre 2018 qui autorise le programme d’achats d’obligations publiques PSPP de l’APP ou QE, insiste sur la nécessité que la BCE et les banques centrales nationales de l’Eurosystème conservent l’option de revendre les obligations publiques qu’elles achètent, pour que ces achats soient conformes à l’interdiction du financement monétaire par le traité :
« la simple faculté de procéder, le cas échéant, à la revente de tout ou partie des obligations acquises contribue à préserver l’incitation à conduire une politique budgétaire saine, dans la mesure où, ainsi qu’il a été relevé au point 135 du présent arrêt, cette faculté permet au SEBC d’adapter son programme en fonction de l’attitude des États membres concernés »

La CJUE estime, sur cet arrêt, que les achats du QE sont légaux parce que les dispositions du PSPP sont telles que « le SEBC conserve la faculté de revendre, à tout moment et sans condition spécifique, ces obligations ».La CJUE indique même clairement, sur cet arrêt, que le PSPP est légal à cause de l’exposition des gouvernements à la possibilité que l’Eurosystème revende les titres achetés

« un État membre ne peut se reposer sur les facilités de financement que peut occasionner la mise en œuvre du PSPP pour renoncer à conduire une politique budgétaire saine, sans risquer, en définitive, de voir les obligations qu’il émet être exclues de ce programme en raison de la dégradation de leur notation, ou de s’exposer à une revente par le SEBC des obligations émises par cet État membre, qu’il avait précédemment acquises »

L’annulation des obligations publiques détenues par l’Eurosystème, ou la conversion en dette perpétuelle, rendrait donc les achats illégaux.
Ayant argumenté ainsi dans le passé, il serait impossible pour la CJUE de se contredire maintenant en autorisant l’annulation, ou la conversion en dette perpétuelle, des obligations publiques détenues par l’Eurosystème.

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