Les gouvernements face à la crise : les vrais problèmes arrivent maintenant

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Avec une reprise de l’activité encore incertaine et inégale, ils sont confrontés paradoxalement à des difficultés plus grandes qu’il y a un an.

Emmanuel Macron l’a dit, et cela lui a beaucoup été reproché: nous sommes en guerre contre le virus du Covid-19. Si cette guerre n’est pas encore gagnée, les vaccins finissent par arriver et les économistes prévoient un retour à la croissance dès cette année.

Mais, pour nos dirigeant·es, l’épreuve est loin d’être terminée. L’histoire nous en apporte de multiples exemples: ce n’est pas forcément dans les situations les plus graves que les gouvernements doivent faire face aux plus grandes difficultés. Lorsque Londres subissait les bombardements allemands, Winston Churchill pouvait compter sur le soutien du peuple britannique. Mais, en 1945, tout juste deux mois après la capitulation du régime nazi, les électeurs l’ont remercié et ont massivement voté en faveur du Parti travailliste. Politiquement, c’est maintenant que la partie se joue.

Fin du consensus

Lorsque l’activité était en chute libre à peu près partout dans le monde, tous les gouvernements étaient confrontés aux mêmes problèmes et, pour l’opinion publique, quel que soit le pays et le parti au pouvoir, il était évident que l’État devait intervenir. Tous les chefs d’État et de gouvernement ne sont pas allés jusqu’à déclarer comme Emmanuel Macron que tout serait fait «quoi qu’il en coûte» mais, dans les faits, les interventions ont partout été massives, du moins dans les pays développés.

Et, à ce moment-là, il y avait une sorte d’accord tacite entre gouvernements et entre les gouvernements et leurs électeurs: dans des circonstances aussi graves, l’erreur serait de ne pas en faire assez.

Puis, progressivement, au fil des mois, la vie a repris le dessus et les clivages sont réapparus au grand jour. D’abord, on a vu que les États ne s’en sortaient pas tous de la même façon, et, à l’intérieur de chaque État, les débats politiques ont regagné en intensité. Le consensus sur les premières mesures d’urgence a volé en éclats et les économistes ont alimenté le débat.

Aux États-Unis, certains commencent à se demander si Joe Biden ne veut pas en faire un peu trop; ici, on se demande s’il ne faudrait pas en faire plus et même s’il ne faudrait pas aller jusqu’à annuler une partie de la dette publique existante pour permettre aux États d’engager de nouvelles dépenses. Et la polémique n’est pas toujours très courtoise…

On estime que la crise a coûté leur travail à environ dix millions d’Américains.

Lorsque Joe Biden a présenté son projet de plan de sauvetage, le 14 janvier, avant même d’être officiellement installé à la Maison-Blanche, on aurait pu penser que les Républicains le critiquerait. C’est évidemment ce qu’ils ont fait, mais la surprise est venue du camp démocrate, d’où certaines voix se sont élevées pour dénoncer un plan inutilement lourd et potentiellement dangereux pour la stabilité de l’économie américaine.

Que les États-Unis aient encore besoin de stimulants budgétaires n’est pas contesté. Les derniers chiffres publiés montrent que le PIB a reculé de 3,5% en 2020, malgré un rebond très fort de 33,4% en rythme annuel au troisième trimestre et plus modéré (4%) au quatrième. Quant au chômage, après une pointe à 14,8% de la population active en avril 2020, il est revenu à 6,3% en janvier dernier, mais il faut rappeler qu’il était à 3,5% avant la crise.

Et si le nombre de chômeurs est revenu à 10,1 millions, il était avant de 5,7 millions. Compte tenu du fait que des gens sans emploi ni inscription au chômage disparaissent purement et simplement des statistiques, on estime que la crise a coûté leur travail à environ dix millions de personnes.

L’on ne peut pas accuser la précédente administration de ne pas avoir agi assez vigoureusement. Le budget fédéral a terminé l’année fiscale 2020 fin septembre sur un déficit de 3.132 milliards de dollars contre 984 milliards en 2019; c’est une multiplication par plus de trois et 2.000 milliards de plus que ce qui était prévu initialement.

En décembre dernier, un accord est intervenu au Congrès sur un plan de soutien de 900 milliards. Mais, pour l’équipe de Joe Biden, il était clair que ce n’était qu’un acompte. D’où ce nouveau plan de sauvetage de 1.900 milliards de dollars qui doit être prochainement discuté au Congrès. Au programme: nouveaux chèques envoyés aux familles, jusqu’à 1.400 dollars pour une personne seule ayant un revenu annuel inférieur à 75.000 dollars (près de 62.000 euros), compléments d’indemnités chômage, aides aux petites entreprises, aides aux États fédérés et aux écoles, passage du salaire horaire minimum fédéral de 7,5 dollars à 15 dollars, etc.

Plus riches malgré la crise!

Dans le petit monde des économistes, ce plan massif est très loin de faire l’unanimité. La réaction la plus notable est celle de Lawrence H. Summers, ancien secrétaire au Trésor et ancien conseiller économique de Barack Obama. Dans une tribune remarquée publiée par le Washington Post, il fait la comparaison avec les mesures prises en 2009 par Barack Obama, justement.

Il constate que les mesures annoncées sont considérablement plus fortes cette fois alors que le contexte ne le justifie pas: le chômage baisse alors qu’il s’envolait en 2009, les conditions monétaires sont beaucoup plus favorables du fait notamment de la politique menée par la Réserve fédérale et les ménages ont accumulé au cours des derniers mois une épargne supplémentaire de l’ordre de 1.500 milliards de dollars qui devrait normalement être au moins en partie dépensée maintenant.

De fait, des statistiques officielles publiées fin janvier sur l’impact des mesures prises pour faire face à la pandémie montrent que globalement les revenus des ménages ont augmenté de 6% l’an dernier, alors que, rappelons-le, le PIB a baissé de 3,5%! Est-il vraiment utile d’envoyer encore des chèques à des gens qui, paradoxalement, se sont enrichis au moment où l’activité s’effondrait?

Ce vendredi 12 février encore, à la bourse de New York, les indices S&P 500 et Nasdaq Composite ont établi de nouveaux records! En application des mesures adoptées en décembre, des chèques allant jusqu’à 600 dollars pour une personne seule ont été envoyés en janvier; certains économistes estiment que près d’un tiers des sommes ainsi distribuées se sont retrouvées investies en bourse! Et les derniers records s’expliquent en grande partie parce que les financiers anticipent le vote du plan Biden.

Un possible retour de l’inflation?

Que cet enrichissement ne soit pas équitablement partagé et que des efforts doivent être faits pour aider les ménages et les entreprises qui ont le plus souffert de la crise, c’est une évidence. Mais ajouter 1.900 milliards aux 900 milliards déjà votés en décembre, cela inquiète M. Summers. Ce déversement de liquidités pourrait entraîner des tensions inflationnistes et nécessiter un durcissement de la politique monétaire, ce qui compromettrait la reprise en cours. Enfin, M. Summers fait remarquer qu’après avoir dépensé 15% du PIB dans ces plans de sauvetage (celui de décembre et celui qui est annoncé), l’État fédéral pourrait se trouver à court de munitions pour financer le plan de développement des infrastructures qui doit être déposé ultérieurement, plan dont la nécessité ne fait pas, elle, le moindre doute.

L’État s’apprêterait-il déjà à resserrer les cordons de la bourse?

Olivier Blanchard, ancien chef économiste du Fonds monétaire international, se montre lui aussi assez réservé et estime qu’un nouveau plan de sauvetage de 1.000 milliards de dollars serait bien suffisant. En Europe, la plupart des économistes se contentent de prendre acte des projets américains et ne se prononcent pas sur leur dimensionnement. Il est vrai que des mesures de relance très fortes outre-Atlantique ne pourraient qu’être bénéfiques pour les exportateurs européens: quand les choses ne vont pas très bien ici, on compte toujours sur le consommateur américain pour se faire un peu de gras.

Et, d’une façon générale, l’idée d’un possible retour de l’inflation n’inquiète pas trop: très peu d’économistes y croient vraiment alors que, depuis des années, gouvernements et banques centrales ont à lutter contre une menace très réelle de déflation. C’est pourquoi, ici, la crainte est plutôt celle de plans de relance qui seraient insuffisants.

Crainte de la fin du «quoi qu’il en coûte»

Dans un entretien avec Les Échos le 21 janvier, Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics, a prononcé une petite phrase qui a beaucoup inquiété: «Si 2021 marquera la fin de la pandémie et de la crise comme tout le monde l’espère, il faut aussi que 2021 marque la fin du “quoi qu’il en coûte”». L’État s’apprêterait-il déjà à resserrer les cordons de la bourse alors que des secteurs entiers sont encore en souffrance et que les incertitudes sont nombreuses?

Pratiquement tous les économistes convergent sur un point: la bonne façon de mesurer l’endettement. Rapporter la dette publique au PIB comme on le fait généralement n’a pas grand sens. Il est vrai que la dette publique française gonfle très rapidement, elle est déjà passée de 100% du PIB à 116,4% en un an, à la fin du troisième trimestre 2020, et ce n’est pas fini.

Les traités européens, qui imposent une limite théorique de 60%, ont été mis provisoirement entre parenthèses –nécessité fait loi–, mais faut-il pour autant prendre le risque d’un dérapage incontrôlé? En fait, disent maintenant les économistes, ce fétichisme du rapport dette sur PIB est idiot. Comme le montre très bien un document de l’OFCE, actuellement ce rapport augmente très vite en France et pourtant la charge de la dette (le paiement des intérêts) est, elle, en recul constant par rapport au PIB. Autrement dit, bien qu’on soit de plus en plus endetté, la dette est de plus en plus supportable…

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