L’hyperinflation allemande de 1923

L’hyperinflation apparaît alors en Allemagne la fin de l’année 1922, devenant exponentielle et donc incontrôlable : la planche à billets se met en route de façon frénétique, l’ensemble des grands agents économiques du pays (grosses entreprises, banques privées…) se mettant même à fabriquer des billets, ce qui ajouta à l’effet d’entrainement. On estime aujourd’hui que cette panique hyperinflationniste résulte d’un ensemble de facteurs, qui, cumulés formèrent une spirale inflationniste autoentretenue :
  • le niveau d’endettement du pays et un service de la dette écrasant,
  • la pression spéculative sur le cours du mark,
  • la perte de confiance dans la monnaie fiduciaire et les rentes d’État (remboursées en papier dévalué),
  • la mauvaise circulation des flux de marchandises d’origine agricole,
  • l’accélération cumulative de la vitesse de circulation de la monnaie,
  • la multiplication des agents producteurs de monnaie,
  • l’indexation des salaires ouvriers et des classes moyennes sur les prix.

Le dollar, qui s’échangeait à 4,2 marks en 1914, 42 marks en 1920 et 420 en juillet 1922 passa à :

  • 49 000 marks en janvier 1923
  • 4 900 000 marks en août 1923
  • 440 000 000 marks le 3 octobre 1923
  • 42 000 000 000 marks le 22 octobre 1923
  • 420 000 000 000 marks le 3 novembre 1923
  • 4 200 000 000 000 marks le 20 novembre 1923

Toute l’économie fut désorganisée : les prix des repas servis au restaurant varient selon l’heure de la commande et l’heure à laquelle l’addition est présentée, si bien que les restaurateurs devaient offrir des plats en plus à leurs clients, ou leur faire payer l’addition en début de repas ; durant l’été 1923, les paysans refusaient en ville d’accepter le mark-papier en échange de leurs produits agricoles ; les salariés se faisaient payer deux fois par jour, etc.

Source complémentaire : André Orléan, Une nouvelle interprétation de l’hyperinflation allemande, 1979

Les conséquences politiques

En 1923, la résistance passive coûte énormément (par exemple les salaires et les assurances sociales des grévistes sont pris en charge par les finances publiques) et fait chuter la valeur du mark. Le 12 août 1923, le chancelier Cuno démissionne. Le lendemain, le nouveau président de la République Friedrich Ebert nomme Gustav Stresemann au poste de chancelier, qui nomme un gouvernement de “grande coalition” avec les socialistes du SPD. Comme on l’a vu, Stresemann appelle à la fin de la résistance passive et s’engage à respecter les obligations imposées par le traité de Versailles.

En Rhénanie, plusieurs républiques éphémères sont fondées comme la République du Haut-Nassau, la République palatine, ou la République rhénane. Poincaré ne freine pas ces séparatismes, qui selon lui garantissent la paix. Ces initiatives de groupes nationalistes rhénans opposés à l’héritage prussien de l’Allemagne n’auront aucune suite car, aux yeux de l’opinion publique allemande, elles paraîssent aller dans le sens des intérêts étrangers.

Mais Stresemann a de grandes difficultés à préserver l’unité du pays. En Bavière, les extrémistes de droite décrètent l’état d’urgence. Stresemann demande au président Ebert de proclamer l’état d’urgence le 26 septembre, mais l’armée en poste en Bavière refuse d’obéir aux ordres. La Thuringe et la Saxe sont quant à elles aux mains des socialistes et des communistes. Stresemann envoie l’armée en Saxe pour rétablir la situation, mais elle ne s’améliore guère. Le 29 octobre 1923, Stresemann décide de destituer les membres du gouvernement de Saxe ; pour la Bavière, il préfère ouvrir des négociations. Stresemann va alors se trouver dans une situation très inconfortable car les ministres SPD quittent son gouvernement, provoquant la rupture de sa coalition.

Le chef de l’armée Hans Von Seeckt projette alors de mettre sur pieds une « dictature légale » pour contenir la crise, ce que Stresemann refuse. Il est alors attaqué de toutes parts. Le Putsch de la Brasserie du 8 novembre 1923 mené par Ludendorff et Hitler à Munich est le point culminant du conflit. Lorsque Stresemann apprend la nouvelle, il se serait exclamé « Finis Germaniae ». Le putsch vise à renverser le gouvernement, l’affrontement avec la police fait vingt morts dont seize putschistes. Les responsables sont arrêtés, Adolf Hitler est condamné à une peine de prison, Ludendorff est jugé mais acquitté.

Proclamation au peuple allemand ! Le gouvernement des criminels de novembre (NdT. : 1918…) à Berlin a été déposé aujourd’hui. Un gouvernement national allemand provisoire a été formé, composé du général Ludendorff, d’Adolf Hitler, du général von Lossow, du colonel von Seisser.

“Proklamation an das deutsche Volk! Die Regierung der Novemberverbrecher in Berlin ist heute für abgesetzt erklärt worden. Eine provisorische deutsche Nationalregierung ist gebildet worden, diese besteht aus General Ludendorff, Adolf Hitler, General von Lossow, Oberst von Seißer.”

Après ce point culminant des séparatismes, la situation politique se stabilise peu à peu, les partis extrémistes refluent.

Bien qu’il ait combattu l’inflation et préservé l’unité du pays, Stresemann est sommé de quitter le pouvoir le 23 novembre 1923, le SPD ayant déposé une motion de défiance la veille. On lui reproche ne n’avoir pas traité la Thuringe, la Saxe et la Bavière de la même manière, en n’envoyant pas par exemple l’armée en Bavière. Le président Ebert déclare alors : « Ce qui vous pousse à renverser le chancelier sera oublié dans six semaines, mais vous sentirez les conséquences de votre bêtise dix ans encore ».

La victoire contre l’inflation

Le 20 novembre 1923, le nouveau commissaire à la Monnaie du gouvernement (et ancien président de la banque centrale) Hjalmar Schacht, stabilise la monnaie en remplaçant le mark par le Rentenmark sur la base d’un Rentenmark pour 1000 milliards de marks. Il stoppa l’inflation, avec 3 séries de mesures visant à diminuer la quantité de monnaie :

  • l’interdiction des émissions de monnaies privées,
  • le rétrécissement du volume des moyens officiels de paiements,
  • la “congélation” du crédit (fin du réescompte à la banque centrale).

Les conséquences économiques de la crise monétaire sont contrastées. Si certaines couches de la population se retrouvent ruinées (une partie des classes moyennes et non pas son ensemble, à savoir les rentiers essentiellement, comme par exemple les retraités), d’autres s’en tirent sans trop de dommages : la classe paysanne, les artisans, les petites entreprises et les grosses fortunes. La prolétarisation des couches moyennes, cliché véhiculé à cette époque par des commentateurs peu informés des réalités économiques, n’a pas eu lieu :

« Il est peu aisé de connaître les conséquences de l’hyperinflation sur les différentes couches sociales. L’idée d’une détérioration généralisées des couches moyennes n’est plus partagée. Ces couches étaient trop diverses ; elles ont traversé la période dans des conditions plus variables. Ont perdu : les épargnants, les prêteurs, les détenteurs d’emprunts publics. Par contre, les petits entrepreneurs, les commerçants et les agriculteurs seraient sortis relativement indemnes de l’inflation. » [Alfred Wahl, L’Allemagne de 1918 à 1945, 2001]

Au final, c’est moins l’inflation que le sentiment d’être injustement puni par les différents traités de paix mais surtout la recréation de la Pologne à partir des terres prussiennes et la menace d’une guerre civile qui ont eu pour effet de donner un nouvel élan au nationalisme et au revanchisme allemands, lesquels ont toujours été présents dans certaines couches de population depuis l’avènement du pangermanisme. L’Allemagne n’ayant plus de colonies, elle va se recentrer sur son territoire linguistico-culturel et tout miser sur sa force de travail. Comparativement, octobre 1929 fut beaucoup plus dramatique et porta plus à conséquence que 1923.

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