L’inflation va revenir de plus belle

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Louis-Vincent Gave est un maître de la vue d’ensemble. Le cofondateur de la société de recherche basée à Hong Kong, Gavekal, est l’un des analystes les plus réputés sur les développements géopolitiques et macroéconomiques et leur impact sur les marchés financiers.

Dans cet entretien poussé avec The Market NZZ, M. Gave donne son avis sur le dollar, les marchés boursiers, les prix du pétrole et de l’or. Et il explique pourquoi les États-Unis commencent à agir comme un « marché émergent malade ». L’article est très long, mais il en vaut la peine. Il pourrait bien être l’un des plus importants à avoir été publié sur or-argent.eu :

Monsieur Gave, 2020 a été le catalyseur de certains grands changements dans l’environnement mondial de l’investissement. En regardant vers l’avenir, quels sont les sujets les plus importants pour vous ?

J’ai passé la majeure partie de ma carrière en Asie. Donc je suis principalement focalisé sur l’Asie. Avec cet avertissement, je dirais ceci : lorsque la crise du Covid a commencé, l’opinion occidentale était que ce serait le Tchernobyl de la Chine. Qu’ils ont complètement foiré, ce qui finirait par affaiblir le régime. Désormais, la Chine s’en sort bien mieux que la plupart des pays occidentaux. S’il y a une grande divergence dans le monde, la voici : dans la plupart des pays occidentaux, la population est en colère contre la façon dont leur gouvernement a géré la pandémie. Parce qu’elle pense que le gouvernement en a fait trop ou pas assez. Mais en Chine, on a le sentiment qu’il y a eu deux grandes crises au cours des 15 dernières années : la crise financière mondiale en 2008 et maintenant le Covid. Et dans les deux cas, la Chine a fait mieux que l’Occident. La plupart des pays d’Asie s’en sont sortis bien mieux que le monde occidental.

Que voyez-vous d’autre ?

Quand je regarde les marchés, il y a 3 prix clés dans l’économie mondiale: les rendements du Trésor à dix ans, le pétrole et le dollar. Il y a un an, les rendements baissaient, le pétrole baissait et le dollar augmentait. Aujourd’hui, les rendements des bons du Trésor augmentent, le pétrole augmente et le dollar baisse. C’est un énorme renversement. Quand je vois un marché où les taux d’intérêt augmentent et la devise baisse, la sonnette d’alarme se déclenche.

Pourquoi ?

C’est ce que vous verriez dans un marché émergent malade. Si vous investissez, par exemple, en Indonésie, la hausse des taux d’intérêt et la baisse de la devise sont un signal que les investisseurs se retirent, car ils n’apprécient pas les politiques en vigueur. Aujourd’hui, les États-Unis commencent à agir comme un marché émergent malade. Nous doutons même de leur capacité à tenir des élections équitables. Au moins 30 % des Américains pensent que leur système électoral est truqué. C’est incroyable.

Quels sont les paramètres politiques que les investisseurs n’aiment pas aux États-Unis ?

La dette publique aux États-Unis a augmenté de plus de 4 000 milliards de dollars cette année, ce qui représente 12 800 dollars par personne. Il s’agit d’un record mondial, mais en fait, la plupart des gouvernements occidentaux ont dépensé des fortunes pendant cette crise. D’une certaine manière, ils utilisent la stratégie que la Chine a suivie après 2008, quand ils ont permis une augmentation massive des dépenses budgétaires et des agrégats monétaires. Aujourd’hui, Pékin se retient en termes de politique budgétaire et monétaire, alors que l’Occident ne connaît pas de limites.

Ils le font pour amortir le choc de la pandémie. Pourquoi est-ce un problème ?

Lorsque la Chine a fait cela en 2008, elle a financé des projets d’infrastructure massifs : aéroports, chemins de fer, routes, ports, etc. Certains de ces projets se sont avérés productifs et d’autres, non. Mais j’ai toujours pensé qu’ils seraient certainement plus productifs que les transferts sociaux. Mais cette année, l’accumulation de la dette aux États-Unis n’a financé aucun nouvel investissement productif. Pas de nouvelles routes, pas d’aéroports, de voies ferrées, rien. Ils ont simplement donné de l’argent aux gens pour qu’ils restent à la maison et regardent la télévision. Au final, cette accumulation de dette improductive peut se traduire par l’une des deux choses suivantes : soit dans le coût de financement pour le gouvernement, c’est-à-dire dans la hausse des taux d’intérêt, soit dans une dévaluation de la monnaie. C’est ce que nous a enseigné l’économiste français Jacques Rueff il y a des années. Très bientôt, cela va mettre la FED face à un dilemme.

De quelle manière ?

Ils devront décider de laisser les rendements obligataires augmenter ou non. S’ils les laissent se normaliser aux niveaux d’avant le coronavirus, les rendements des bons du Trésor à 10 ans devraient s’élever à environ 2,5%. Mais s’ils le font, le financement du gouvernement deviendra problématique. Une augmentation de 50 points de base des taux d’intérêt équivaut au budget annuel de la marine américaine. 30 points de base est l’équivalent requis pour les Marines américains, et ainsi de suite. Les États-Unis empruntent déjà de l’argent pour payer leurs intérêts aujourd’hui. Si les taux montent, ils entrent dans le cycle où ils doivent emprunter davantage pour pouvoir payer des intérêts. Ce qui n’est pas une position confortable.

Vous attendez-vous à ce que la FED intervienne et plafonne les taux d’intérêt ?

Oui. Et quand ils le feront, je dirais que le dollar chutera de 20 %.

Les bons du Trésor à dix ans rapportent actuellement environ 0,95 %. À quel niveau la FED interviendra-t-elle ?

Je pense qu’ils devront plafonner les taux d’intérêt à 2 %, sinon le gouvernement sera trop entravé. Cette question se posera assez rapidement, car à partir de ce printemps les effets sur la croissance et sur l’inflation se manifesteront. La croissance sera très forte, tout comme l’inflation, ce qui signifie que les rendements tenteront rapidement de remonter à 2%.

Vous avez récemment écrit un article dans lequel vous recommandiez d’acheter de l’or et des financières pour vous préparer à cet événement. Pourquoi l’or et les titres bancaires ?

Mon scénario de base voit les rendements des bons du Trésor augmenter jusqu’à environ 2 %, point auquel la FED introduira une variante de contrôle de la courbe des taux. Dans ce scénario, le dollar chuterait, les taux d’intérêt réels baisseraient et l’or s’apprécierait. Mais il se peut que je me trompe. Peut-être que la FED paniquera quand elle verra l’inflation grimper à 4 %, et peut-être qu’elle décidera de laisser les rendements augmenter. Si tel est le cas, les valeurs financières augmenteront, portées par une courbe des taux plus écartée. Donc, ce printemps, si la FED plafonne les taux d’intérêt, l’or grimpera. Et si ce n’est pas le cas, les titres financiers en profiteront.

Mais vous préférez l’or ?

Oui. Il est fort possible que dans les semaines à venir, le dollar s’apprécie tandis que les taux obligataires US augmentent. Cela pourrait provoquer une baisse de l’or. Si cela devait arriver, je prendrais le contre-pied de cette tendance, j’achèterai de l’or. Mais en même temps, vous pouvez acheter des options sur les financières.

Le dollar est fort depuis dix ans. Est-il entré dans un nouveau marché baissier structurel ?

Oui, il n’y a aucun doute dans mon esprit. Il y a un an, le dollar était la seule grande devise offrant des taux réels positifs. À mon avis, les capitaux se dirigent vers des taux réels positifs, tout comme l’eau coule vers le bas. Aujourd’hui, les États-Unis ont l’un des taux d’intérêt réels les plus négatifs au monde. Les taux d’intérêt réels aux États-Unis chuteront encore davantage si l’inflation se manifeste bien au printemps.

Outre les rendements réels négatifs, quelles sont les autres raisons du marché baissier du dollar ?

Nous devons d’abord nous demander pourquoi nous avons même eu un marché haussier du dollar au cours de la dernière décennie. La réponse est la révolution du pétrole de schiste. Alors que les États-Unis se dirigeaient vers l’indépendance énergétique après 2011, leur déficit commercial s’est réduit. La révolution du pétrole de schiste a signifié que, tout à coup, les États-Unis n’exportaient plus d’argent.

Et cette roue a maintenant tourné ?

Oui. La production de pétrole aux États-Unis s’effondre. Les Texans ont perdu dans la guerre des prix contre les Saoudiens et les Russes. La production pétrolière américaine a déjà diminué de 2,5 millions de barils par jour et devrait encore baisser de 2,5 millions au cours des douze prochains mois, car toutes les grandes sociétés pétrolières réduisent leurs investissements. (…)

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