Plan de relance européen : tout ça pour ça !

Après l’annonce par la Commission du plan de relance de l’Union européenne le 27 mai dernier, des questions essentielles s’étaient posées concernant la répartition des subventions, les conditions d’attribution, la légalité de l’emprunt envisagé et la nature des ressources permettant de faire face à son remboursement.(1)

Le Conseil européen du 21 juillet a donné son accord sur un plan de 750 milliards avec des subventions en diminution, cette fois-ci en n’en donnant pas le détail. En ce qui concerne le montage de l’opération, très complexe, les questions restent entières. Nos concitoyens sont en droit d’attendre dans les prochaines semaines des réponses précises de la part de nos dirigeants compte tenu des montants de dette engagés.

Derrière la dette publique, il y a toujours des contribuables. Jusqu’à présent, leurs déclarations officielles donnent un peu le sentiment que l’on s’adresse à des enfants à qui on annoncerait l’arrivée prochaine du Père Noël ! Nos concitoyens savent pourtant qu’il n’y a pas d’argent magique. Une fois passée l’euphorie des conférences de presse, l’inquiétude pourrait vite refaire surface.

Une solidarité en trompe-l’œil

Première question, pourquoi avoir choisi un projet aussi lourd, aussi complexe, qui va mobiliser pendant plusieurs années des milliers de dirigeants et de fonctionnaires à Bruxelles et dans les capitales européennes, alors que l’on aurait pu faire plus simple et plus efficace ? Pourquoi ce détour de plusieurs années par Bruxelles ?

Si les chefs d’État avaient réellement souhaité témoigner leur solidarité, sans arrière-pensées, à l’égard des pays les plus atteints par la pandémie, ils auraient choisi de procéder par transferts financiers d’États à États. Ils auraient mis immédiatement en place des transferts en faveur de l’Italie, de l’Espagne, de la Belgique et de la France.

L’Allemagne qui est un des pays les moins endettés de l’Union (59,8 % du PIB fin 2019) aurait emprunté quelques dizaines de milliards d’euros à un taux négatif de – 0,50 %. Son niveau de dette aurait glissé de 2 %, c’est-à-dire de l’épaisseur du trait. L’Allemagne, qui profite tant de l’euro et dégage depuis dix ans des excédents courants spectaculaires, contraires aux traités, aurait contribué de la sorte à une plus grande efficacité de la zone monétaire.

Les fonds seraient parvenus en Italie avant la fin de l’été ce qui aurait permis aux Italiens de faire face à l’urgence en investissant par exemple dans un secteur hospitalier qui a tellement souffert. Ce geste de solidarité aurait été unanimement salué. L’article 122 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) était fait précisément pour répondre à ce genre de situations en permettant au Conseil européen, en cas de « catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant au contrôle des États », d’apporter immédiatement une assistance financière aux pays concernés.

Mais on a préféré s’en remettre à la Commission avec un plan qui va se déployer sur plusieurs années, soumettre les États à de multiples examens de passage et financer le tout par un grand emprunt dont on ne sait pas comment il sera remboursé. Tout le monde va recevoir des subventions, même l’Allemagne, et semble-t-il pour un montant significatif ! À une solidarité immédiate, on a préféré le recours à la dette. Une belle occasion ratée de faire avancer l’Europe des peuples !

Fédéralisme français et ordo-libéralisme allemand

La vérité oblige à dire que l’idée qui a conduit la France et l’Allemagne à promouvoir un plan piloté par la Commission et financé par un grand emprunt européen est avant tout politique.

Angela Merkel, pourtant hostile à toute dette mutualisée, a vu dans la mission confiée à la Commission pendant plusieurs années un moyen d’accélérer les réformes dans les pays récalcitrants. S’ils veulent bénéficier des subventions, ces pays devront réussir leurs examens de passage, bien entendu lors de la présentation des plans de relance nationaux, mais aussi pendant de longues années puisque le plan de relance européen est « ancré » dans le fameux Semestre européen(2) comme cela a été dit par la Commission dès la fin mai. Quant à Emmanuel Macron qui plaidait depuis trois ans pour une dette mutualisée, il obtient enfin une petite avancée fédérale.

Toutefois, contrairement à ce qui a été répété en boucle par nos dirigeants, cette dette mutualisée n’est pas un événement historique. A-t-on déjà oublié que le Mécanisme européen de stabilité (MES) de 700 milliards d’euros, créé en 2012 pour venir en aide aux pays périphériques, permet d’émettre une dette mutualisée ?

Par ailleurs, et c’est le plus important, Angela Merkel a précisé dès le mois d’avril que les subventions du futur plan européen auraient un caractère exceptionnel. Elles s’inscrivent en effet, a-t-elle précisé, dans le cadre de l’article 122 mentionné ci-dessus. Elles sont indissociablement liées à la pandémie. En d’autres termes, pour Angela Merkel, cette opération ne doit pas constituer un précédent. En juin 2019, elle avait déjà fermé la porte à tout budget de la zone euro et ce plan n’est pas l’amorce d’un budget de la zone euro. C’est un plan de l’Union européenne. Le plan de l’Eurogroupe du printemps dernier ressemble à cet égard à un ballon de baudruche : sur les 540 milliards, 240 milliards concernent un éventuel recours au MES, ce qui n’intéresse personne, et pour le reste, les engagements des États ne représentent que 50 milliards et encore sous forme de garanties.

Pour des raisons politiques, l’Union européenne a donc choisi de mettre en place une grande cathédrale, comme elle sait le faire parfois(3), aux dépens de l’efficacité et d’une franche solidarité.

Au cours du long et lourd processus qui s’annonce, elle va devoir apporter de nombreuses précisions juridiques et financières. Pour le moment, trois éléments chiffrés ont été avancés — des subventions à hauteur de 390 milliards, des prêts à hauteur de 360 milliards et un grand emprunt de 750 milliards pour financer le tout — mais le montage de l’opération reste très obscur.

Une répartition des subventions largement déconnectée de la crise sanitaire

La légalité des subventions ne fait pas de doute dans son principe puisqu’elles ont pour origine « une catastrophe naturelle, un événement exceptionnel échappant au contrôle des États », c’est-à-dire la pandémie. En revanche, les allocations de subventions s’éloignent de la lettre et de l’esprit de l’article 122 du TFUE.

Seuls 30 % des montants alloués, ceux de l’année 2023, seront en effet en lien avec la pandémie. Il aurait été pourtant simple de retenir dès l’année 2021 deux critères simples reflétant la gravité de la situation pour chaque État : le nombre de morts par million d’habitants et la chute du PIB. Ces critères auraient naturellement été pondérés par la population.

Dans le système proposé, très complexe si l’on en croit les équations utilisées par les experts, certains pays d’Europe centrale pourraient recevoir des montants significatifs alors qu’ils sont peu affectés par la pandémie. Quant à l’Allemagne, également peu affectée et plutôt prospère, elle recevrait selon l’Institut Bruegel un montant du même ordre que la France. Comprenne qui pourra…

Il ne faudrait pas que cette opération soit dans certains cas un jeu à somme nulle ! La nature même des subventions aura plus à voir avec l’écologie et le numérique qu’avec le secteur hospitalier et la relocalisation de l’industrie pharmaceutique. Comme le dit très bien Olivier Berruyer(4), il s’agit en fait d’un « plan de rééquilibrage macroéconomique de l’UE ».

La Commission met à profit l’aubaine du plan de relance pour faire accepter ce qui lui a été refusé dans le cadre du budget ordinaire. Mais elle s’éloigne de la lettre et de l’esprit de l’article 122.

Un emprunt sans base juridique

La question juridique la plus importante concerne le recours à l’emprunt. Force est de constater qu’il n’existe aucune base juridique dans les traités pour recourir à l’emprunt. Comment se fait-il qu’aucun dirigeant européen n’ait soulevé cette question ? Parce que cela risquerait de faire échouer le projet ? Parce qu’il y aurait deux lectures des traités, l’une pour la Grèce, l’autre pour la Commission ? Parce que cela contraindrait à une révision des traités ? Mystère !

Dans les traités, il n’existe nulle part la moindre allusion à une compétence de la Commission en matière d’emprunt. Or, selon l’article 5 du Traité de l’Union européenne (TUE), « le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union (…). « Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres ».

En d’autres termes, une compétence non attribuée n’existe pas. Deux articles du TFUE, les articles 310 et 311, sont même très explicites sur le fait que « le budget doit être équilibré en recettes et en dépenses ».

Détail amusant, la Commission elle-même a écrit en janvier dernier dans son introduction au budget 2020 « qu’un recours à l’emprunt pour couvrir un éventuel déficit budgétaire n’est pas compatible avec le système des ressources propres et n’est donc pas autorisé »…

Des parlementaires peuvent-ils voter un texte qui viole les traités ? Le Parlement européen n’est certes pas appelé à ratifier le plan européen puisque, selon l’article 122, il est seulement « informé ». Mais les parlements nationaux peuvent-ils fermer les yeux sur l’absence de base juridique de l’opération proposée ? En 2012, le recours à l’emprunt du MES avait exigé une révision des traités : l’article 136 du TFUE avait été modifié et complété par la rédaction d’un traité prévoyant que le MES « est autorisé à lever des fonds en émettant des instruments financiers » (traité signé le 2 février 2012).

On est en droit de se demander si Emmanuel Macron et Angela Merkel ne se sont pas mis d’accord avec Ursula von der Leyen pour éluder le problème juridique que pose le recours à l’emprunt. Modifier les traités risquerait d’ouvrir la voie à de futurs eurobonds… La boîte de Pandore !

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