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Cette histoire est inspirée d’un texte lu sur un forum il y a une dizaine d’années écrit sous le pseudo “Bé habba” que je remercie pour l’idée originale et le texte qui m’a servit de base. Je l’ai enrichi, personnalisé, j’ai précisé certaines données de valeurs marchandes et ajouté certaines dates et éventements de contexte de l’époque afin de rendre le texte plus vivant. Ce n’est donc pas une histoire vraie, bien qu’elle emprunte aujourd’hui des situations et des personnes ayant vraiment existé.
La version originale de cet article a été publiée sur la page Linkedin de Régis Chaperon.
Mon arrière-grand-père, Pierre Antoine CHAPERON, né le 7 août 1884, était artisan boulanger à Lyon. En 1908, il épouse mon arrière-grand-mère Marie Usseglio Brancard, une italienne née à Suse, et ils donnent naissance à deux beaux enfants en 1912 et 1915. A la naissance de son premier enfant, Pierre Antoine décide d’économiser une somme à transmettre à ses enfants Marc Jean et René Pierre (mon grand-père).
En 1912, l’hectolitre de blé (80 kilos) coûte 20 francs, le seigle 19 francs, et il vend son pain 1ère qualité de 1 kilo 40 centimes.
Le vrai prix du pain, le prix du travail
A raison de 25 pains vendus par jour, mon arrière-grand-père gagne 10 francs par jour de travail pour lui, son épouse qui tient boutique, et ses deux enfants. C’est un très bon salaire pour l’époque, car un ouvrier gagne 2 francs par jour, un forgeron 5 francs par jour à Paris, et un serrurier 7 francs par jour. Un habit complet pour homme coûte entre 6 et 12 francs, un chapeau de ville 18 francs, la stère de bois pour le four 14 francs.
Pierre Antoine décide d’économiser 10 francs par mois. Pour 24 jours travaillés par mois car la semaine de cinq jours n’existe qu’en 1936, ces 10 francs représentent un jour de travail. Les vacances d’été passées dans la Loire à Montbrison dans sa famille ont coûté 20 francs, et Pierre Antoine après 1 an d’économies à réussi à mettre 100 francs de côté en 10 mois. Ces 100 francs représentent une jolie somme et 250kg de pain. Un cheval de travail coûte 150 francs, un cheval de cavalerie 300 francs, et un bœuf 600 francs.
Pour les épargner, il a trois solutions :
- des billets, par exemple 2 billets de 50 francs « rose et bleu »
- des pièces d’argent, par exemple 20 pièces de 5 francs « Ecu » soit 500 g d’argent au titre 900 millièmes
- des pièces d’or, par exemple 5 pièces de 20 francs « Napoléon », soit un total de 32,25 g d’or au titre 900 millièmes.
Habitué aux pièces qu’il manipule toute la journée, Pierre Antoine est fasciné par le tout nouveau billet de 100 francs de la Banque de France, dessiné par Luc-Olivier Merson. C’est le tout premier billet polychrome en circulation. Par rapport aux vieux billets monochromes noirs, bleus, violets, ou encore bicolores bleus et rose, c’est une vrai révolution technologique d’imprimerie. Il décide donc d’aller échanger quelques unes de ses pièces en argent usées et oxydées contre un billet tout neuf qu’il place sous sa pile de draps propres.
Valeur d’un billet en période d’inflation
Entre les deux guerres, le billet de 100 francs « Merson » reste sous les draps, mais il perd de la valeur car la hausse des prix est importante. Entre 1914 et 1924, le franc perd jusqu’à 80% de sa valeur.
Le recul du franc s’accentue brutalement quand la droite française, au printemps de 1924, avec l’appui des banques anglo-saxonnes, joue la crise monétaire contre le gouvernement du Cartel des gauches. La livre, qui valait 100 francs en 1924, atteint 243 francs en juillet 1926, date à laquelle le Cartel éclate, ce qui permet le retour de Poincaré au pouvoir. Le franc, qui a perdu près des neuf-dixièmes de sa valeur par rapport à la livre, se stabilise dès l’automne de 1926, mais la dévaluation est retardée jusqu’en juin 1928.
Pour rattraper l’inflation, Raymond Poincaré dévalue brutalement le franc par la loi du 25 juin 1928, qui divise par cinq sa valeur en or : le franc vaut désormais 65,5 mg d’or au titre 900 millièmes.
La précédente valeur du franc créé par Napoléon, dit franc Germinal, avait été définie par la Convention en 1795 puis par la loi du 7 germinal an XI (27 mars 1803). Le franc Germinal équivalait à 5 g d’argent au titre neuf dixièmes, et aussi à 322,58 mg d’or à neuf dixièmes (soit un rapport or/argent de 15,5). C’est pourquoi la pièce de 20 francs or pesait 0,32258 x 20 = 6,4516 g depuis la révolution jusqu’à la dévaluation de 1928.
Ainsi en 1928, les pièces d’or et d’argent, dont la valeur en métal précieux est devenue cinq fois trop forte par rapport à la valeur faciale, sont démonétisées et retirées de la circulation (ou thésaurisées). Mais les billets restent valables, et Pierre Antoine laisse son 100 francs « Merson » sous sa pile de draps.
En 1933, aux états-unis, le président américain décrète la détention d’or illégale pour les citoyens américains, et leur ordonne de restituer pièces, lingots et certificats d’or aux banques fédérales de réserve avant le 1er mai 1933, au prix de 20,67$/once. 1933 est l’année où la Grande dépression a provoqué une sévère pénurie d’or. Le Emergency Banking Relief Act de 1933 à été voté pour “fournir un soulagement à l’urgence nationale du secteur bancaire et pour d’autres objectifs”…Tout refus de restituer son or entraînait une amende de 10 000$ et 10 ans de prison. On considère que c’est entre 1933 et 1936 que les réserves d’or de la FED ont été constituées grâce à l’or confisqué des particuliers.
En 1933, mon arrière-grand-père Pierre Antoine se dit qu’il a bien fait de s’être débarrassé de ses pièces d’or Napoléon et s’assure que son billet de 100 Francs est bien toujours sous sa pile de draps.
En octobre 1936, le franc est encore dévalué et on décide qu’il peut désormais fluctuer entre 43 et 49 mg d’or au titre 900 millièmes. Puis début 1939, après une nouvelle dévaluation, la valeur or est définie à 27,5 mg au titre 900 millièmes. Avec la drôle de guerre, la chute se poursuit, et en février 1940 le franc ne vaut plus que 23,34 mg d’or au titre 900 millièmes (soit 21 mg d’or fin).
En 1944, mon grand-père René Pierre est tué. Mon père à 4 ans. Et Pierre Antoine estime que cet enfant est encore trop jeune pour hériter de sa part. Entre-temps, son fils aîné Marc Jean a fait sa vie, et mon arrière-grand-père décide que la totalité de ses 100 Francs reviendront à ce petit fils orphelin : mon père, Marc.
A la libération, c’est un joyeux désordre monétaire en France. Se côtoient des billets d’avant-guerre, des billets émis par l’état Français, des pièces d’or et d’argent étrangères, et des billets émis par les américains. Les américains ont en effet débarqués avec dans leurs valises des billets de banque flambant neufs pour remplacer les billets français émis durant l’Occupation. L’idée des Américains est que les billets français seront échangés contre les billets drapeau. Cet échange de billets doit au passage permettre d’éliminer les billets accumulés en quantité importante par les trafiquants du marché noir. Ces projets monétaires accompagnent le projet politique des Alliés, qui est l’instauration d’une administration militaire de la France libérée. Deux jours après le débarquement du 6 juin, le Gouvernement provisoire de la République française adresse une sévère mise en garde aux deux gouvernements concernés, disant qu’« il ne reconnaît aucune valeur légale aux vignettes qui ont été mises en circulation sans son avis »
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