L’épidémiologiste qui savait comment protéger l’économie des virus (mais que personne n’a voulu écouter)

Le virologue américain Nathan Wolfe avait alerté d’une possible pandémie dès 2006. Il avait notamment prévu les conséquences économiques et financières dramatiques. Quelles leçons pouvons-nous tirer de ses travaux ?

Atlantico.fr : Le modèle de protection de l’économie face aux pandémies dessiné par Nathan Wolfe est-il viable ?

Stéphane Gayet : Nathan Wolfe est un virologue américain. Il s’intéresse depuis des années aux virus des animaux dans les pays où l’on consomme beaucoup de viande d’animal sauvage, tels que les pays d’Afrique subsaharienne et les pays d’Asie du Sud-Est. Il a notamment vécu plusieurs années à Yaoundé (capitale du Cameroun) pour y faire des recherches dans ce domaine. En février 2009, il donnait une conférence TED (technologie, divertissement, conception : conférences de haut niveau à destination du grand public, portant sur « tout ce qui mérite d’être présenté »). Cette conférence TED portait sur les virus des animaux sauvages susceptibles de franchir la barrière d’espèce qui sépare ces animaux de l’Homme, à la faveur de la consommation de leur chair et leurs abats. Les virus VIH-1 et VIH-2 du sida, le virus Ebola et les coronavirus SARS-CoV et MERS-CoV font partie des nombreux virus concernés. Toutes ces maladies virales sont des zoonoses qui ensuite s’autonomisent chez l’être humain pour devenir des infections virales de l’Homme.

Nathan Wolfe était convaincu depuis des années que le risque pandémique viral venait des animaux sauvages que l’on chassait et consommait. Il affirmait que la population mondiale était menacée par une nouvelle pandémie zoonotique (une zoonose est une maladie infectieuse qui passe de l’animal à l’homme). Et Bill Gates en mars 2015, donc 6 ans après la conférence de Nathan Wolfe, donnait à son tour une conférence TED au cours de laquelle il expliquait pourquoi le monde n’était pas prêt à faire face à la prochaine pandémie grave d’infection virale respiratoire. On ne peut s’empêcher de penser que Gates s’est inspiré de la conférence de Wolfe. Toujours est-il que le virologue et l’inventeur avaient prévu la pandémie CoVid-19.

Mais Nathan Wolfe n’est pas que virologue. Convaincu de ce risque pandémique majeur, il avait envisagé les conséquences économiques d’une pandémie dévastatrice. Il a créé une entreprise appelée Metabiota, spécialisée dans l’épidémiologie des maladies infectieuses virales et qui s’est également intéressée à l’aspect économique des pandémies.

Nathan Wolfe expliquait qu’une grande pandémie dévastatrice se produisait environ tous les 100 ans. Quand il s’exprimait ainsi, nous étions en 2006 et le monde restait marqué par la grande pandémie grippale meurtrière de 1918-1919. Bien que la survenue d’une telle pandémie parût vraiment stochastique – en grande partie liée au hasard -, il était persuadé qu’il y avait quelque chose à faire pour l’anticiper et même la prévoir. Son idée était la suivante : sachant que les pandémies virales dévastatrices provenaient toujours des animaux sauvages et résultaient d’échanges de virus entre ces animaux et l’Homme, il devait être possible, en étudiant intensément ces virus, de prévoir leur passage à l’homme.

Il travaillait donc à la fois dans le domaine infectieux viral et dans le domaine financier : il était préoccupé par les conséquences économiques et financières d’une pandémie grave.

En 2015, Metabiota s’était associée au géant allemand de la réassurance Munich Re et au courtier d’assurances américain Marsh, pour développer et vendre une police destinée spécifiquement à protéger les grandes entreprises contre les pandémies, afin de limiter les pertes financières et de les maintenir à flot. Ils l’avaient lancée à la mi 2018, un an et demi avant que les premiers cas de CoVid-19 n’apparaissent en Chine.

Munich Re n’est donc pas un assureur ordinaire, c’est en réalité un réassureur : il assure – plutôt réassure – les assureurs des entreprises contre des risques majeurs qui les dépassent. Car une pandémie ne correspond pas à un risque habituel, c’est un risque exceptionnel et seul un réassureur a une surface et une puissante suffisantes pour le prendre en charge.

Aujourd’hui, Nathan Wolfe est bouleversé et pour le moins déçu de constater que la pandémie dévastatrice qu’il avait prévue et annoncée s’est réalisée. Il savait que, sur le plan virologique, immunologique et infectiologique, on ne pourrait sans doute pas l’empêcher de se produire, eu égard à l’état de nos connaissances et de nos moyens. Mais il en avait prévu les conséquences économiques et financières dramatiques et il avait mis en place en 2018 une assurance et une réassurance spécifiques à destination des entreprises. Mais cette assurance contre un risque exceptionnel a été un échec, car personne ne veut s’assurer contre un risque exceptionnel. Il n’est déjà pas vraiment dans la nature de l’Homme de s’assurer contre un risque relativement fréquent, a fortiori quand il s’agit d’un risque exceptionnel. C’est pourquoi il y a tant de dispositions juridiques pour contraindre les particuliers et les entreprises à s’assurer. La notion de risque est une probabilité qui s’appuie sur des statistiques : cela ne parle pas à tout le monde et loin de là.

Nathan Wolfe dit que, dès que la pandémie a commencé, beaucoup d’entreprises ont couru vers lui pour souscrire un contrat d’assurance contre la pandémie. Mais une assurance ne couvre qu’un risque et ne peut couvrir un danger.

En somme, l’assurance et la réassurance proposées par Wolfe pour couvrir le risque de pandémie grave sont probablement un bon produit assurantiel. Mais il ne se vend pas, car il est assez surréaliste dans une économie déjà sous tension. Car comment accepter de payer une prime d’assurance onéreuse pour couvrir un risque qui se réalise tous les cent ans?

Olivier Berruyer : C’est un modèle assez simple que nous nommons la réassurance. Face à un risque catastrophe, un risque dont les dommages évalués vont être extrêmement élevés, extrêmement cher et qui se produit rarement, les assurances doivent débloquer des sommes importantes. Dans le cas d’une pandémie, ces sommes deviennent colossales. Ce que font les assureurs dans ces cas là, c’est de se réassurer auprès d’organismes internationaux.

Quels mécanismes ont empêché sa mise en place ?

Stéphane Gayet : Nathan Wolfe est vraiment l’un de ceux qui connaissent le mieux le risque pandémique viral. Virologue, il s’est spécialisé dans ce champ de la virologie qui associe l’immunologie et l’épidémiologie à l’étude proprement virologique ce ces agents infectieux redoutables. Il a rapidement compris que, dans l’état actuel de nos connaissances et malgré ses propres travaux sur les circonstances de franchissement d’une barrière d’espèce, il serait très difficile de juguler une pandémie même à un stade tout débutant.

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